I Particularité des manuscrits étudiés : a peinture qui ornait lintérieur des églises du Haut Moyen Age a disparu avec les murs qui les soutenaient. Les seuls témoignages qui nous soient restés de cet art se trouvent incrustés dans la peau des parchemins que de nombreuses bibliothèques conservent comme des reliques à travers toute lEurope, de Saint Petersbourg à Laon. Principales sources écrites de cette époque, les livres copiés dans les monastères à travers tout lOccident, nous révèlent des illustrations qui constituent de véritables mines de renseignements au sujet des hommes et de leur environnement. Lessor des arts mineurs, orfèvrerie et enluminure sest directement attaché à celui du christianisme dans la société et à son rôle vis à vis du pouvoir. Ce dernier avait contribué à affirmer sa légalité et son prestige par les liens qui lunissait au Tout Puissant. Cette conception gélasienne plaçait le roi comme réalisateur de la volonté divine exprimée par la voix de Rome. Clovis, après sa conversion et son baptême, et Pépin le Bref, par son attachement à la papauté, ont été les jalons de cette organisation de la société. On a vu, par rapport à la précieuse orfèvrerie de parure découverte dans les sépultures royales, lattachement des grands à montrer leur position sociale. La monarchie germanique conférait au roi les plus somptueuses parures, Dieu naurait pu donc être en dessous des plus puissants de la Terre. Dans un tel état de fait, il était important pour le fondateur dun grand monastère ou dune cathédrale de les doter des plus beaux objets liturgiques et livres de culte. Dans un Moyen Age qui sacralisait la beauté, rien ne pouvait être plus beau pour Dieu. LArs sacra était le reflet de la Royauté du Christ, on lui appliquait le même faste que celui de la cour impériale.j Les livres utilisés durant loffice religieux étaient composés de lévangéliaire, du sacramentaire et de la Bible ; dans cette dernière figuraient le psautier et les évangiles.k Le plus vaste secteur de la production artistique fut mis au service dune liturgie unifiée sous les Carolingiens à travers tout le royaume. Lautel, vers qui tous les regards convergeaient, navait dégal que lEmpereur qui, en entreprenant une sérieuse formation des élites, avait redonné une impulsion nouvelle à la création. Pour lEglise, cette impression de Renaissance était déjà ressentie comme telle, lobjectif premier de la réforme étant de donner, avant tout, de bons prêtres.l Simultanément à la floraison de lenluminure en Italie et dans les îles, lornementation mérovingienne connut un grand essor. Toutefois les buts poursuivis par les autorités religieuses en charge de la production de ces manuscrits ne semblèrent pas avoir été les mêmes que ceux de leurs voisins transalpins et outremer. Il semble que lon préféra, en Gaule, se concentrer sur les livres liturgiques et les ouvrages des théologiens ou des Pères de lEglise comme st Jérôme et st Augustin. La Renaissance Carolingienne alla de pair avec les missions au nord et à lest et combla le retard accumulé pour la production des évangéliaires. Les Princes, chose nouvelle, passèrent commande pour des ouvrages toujours plus nombreux et contribuèrent grandement à la multiplication des ateliers ou à leur agrandissement. De tels mécènes favorisèrent léclosion dun art qui rejoindrait rapidement les plus belles prouesses de lorfèvrerie et contribueraient à sortir lOccident de la Barbarie aux yeux des générations qui leur succéderaient.
Les manuscrits qui seront lobjet de notre attention sétalent du VIII° à la fin du IX°s et sinsèrent tous dans les frontières occidentales de lempire carolingien. Les ouvrages produits au crépuscule des Mérovingiens sont sortis des scriptoria de Luxeuil (Missale Gothicum, Lectionnaire de Luxeuil), de Laon (Evangéliaire de Gudohin, Heptateuque de saint Augustin), de Flavigny, de Meaux (Sacramentaire de Gellone), de Chelles (Sacramentaire Gélasien), de Saint-Germain-des-Prés et enfin de Corbie. Une étude des ornementations précarolingiennes établit le rapport direct entre le texte et lillustration. Celles-ci, en cadre, en lettrines, en symboles ou en dessins de frontispices viennent en renforcement des textes. Croix, anges et portraits des personnages intégrés aux livres montrent un attachement évident des peintres à la figuration italienne. Les types celtiques de cette enluminure ne semblent être que de subtils clins dil. Quand le recopiage des récits évangéliques se répandit, linspiration irlandaise se fit alors plus évidente mais on avait changé de dynastie royale. Le règne de Charlemagne souvrit par la commande dun évangéliaire réalisé à lécole palatine par lartiste Godescalc.j Les Irlandais présents en nombre dans le pays et à la cour influencèrent énormément le style de la production des ateliers de Trèves, de Fleury, de Tours, de Saint Amand (Evangéliaire de Saint Vaast, Seconde Bible de Charles le Chauve), de Cologne et de Saint- Gall. Il y a bien dautres scriptoria mais on ne connaît pas précisément leur emplacement géographique (notamment ceux qui ont réalisé lEvangéliaire de Lothaire et les Evangiles dits de François II ). On vit donc à cette période, à côté des scènes bibliques et des lettres ornées, lapparition de portraits royaux en majesté ou en costume de sacre ainsi que toute une iconographie glorifiant la cour et les participants de la Renaissance Carolingienne.k Certaines figures éclatent dans une somptuosité et une débauche de couleurs chaudes caractéristiques de linfluence de lempire byzantin avec lequel lOccident rivalisait.
Dautres, en contrepied, faisaient preuve de la plus grande originalité dans un esprit quon pourrait qualifier davant gardiste en " élargissant considérablement les horizons conceptuels de lenluminure ".j
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