n trouve peu dentrelacs dans les églises de lépoque mérovingienne pour la simple raison quaucune église ne nous est parvenue intacte depuis ce temps lointain. La plupart, parce quelles étaient en bois, ont été détruites par les siècles ou par les hommes. Lorsquelles étaient en pierre, elles ont été remaniées par les architectes carolingiens. Les quelques cryptes mérovingiennes qui ont été conservées ne présentent aucun caractère nordique. Ni à Fréjus, ni à Saint Victor de Marseille, (situées dans le Sud de la France où le monachisme insulaire na guère eu dimpact), ni même à Jouarre, pourtant bâtie par les successeurs de st Colomban, un quelconque ornement de type celtique ne vient égayer leurs sculptures. Celles ci apparaissent plutôt de style lombard ou romain. Jouarre fondée par Théodechilde en 640 présente des chapiteaux composites de type méditerranéen et les sarcophages dAgilbert, évêque de Paris, et celui de Théodechilde, première abbesse, sont typiques du style de la Lombardie chrétienne. Une scène du jugement dernier illustre un des côtés du sarcophage dAgilbert et lon a longtemps pensé quil sagissait dune uvre dinfluence copte, tout comme le panneau de tête représentant le Christ en majesté entouré des symboles des apôtres. Le sarcophage de sainte Théodechilde présente deux frises de coquilles St Jacques, symboles déternité pour les méditerranéens. On penche maintenant pour une réalisation effectuée par des artistes itinérants venus de Lombardie vers 675.j Les contacts étaient nombreux entre les monastères gaulois et lItalie du Nord où st Colomban sétait retiré avant de mourir.
Il est nécessaire, pour comprendre limpact qua pu avoir le monachisme celtique dans la société mérovingienne, de se référer à une carte exposant les fondations de monastères vivant selon lusage colombanien.(voir carte dannexe) Létude de cette carte signale une ligne Nord / Sud partant de Nantes qui court le long de la Loire et de la Saône. Cette frontière met en évidence le nombre important de monastères créés après le VII°s au nord de laxe Nantes/Genève que nécessitaient la permanence et la vitalité de cultes païens au nord et à lest de la Gaule.j Le visage religieux du pays séclaire à la lecture des sermons de st Césaire dArles (milieu du VI°s) ou des interdits de lIndiculus superstitionum et paganiarum des conciles des Estinnes et de Soissons (743/744).k Les Irlandais ont aidé à combler ce manque cruel dorganisation religieuse dans la Gaule du Nord, sans chercher à saventurer dans les régions dAquitaine et de Provence, marquées par un cénobitisme plus ancien et bien enraciné. Il nest donc guère étonnant de ny point voir de témoignage architectural de type celte. Comme on la vu, les Irlandais, en sinstallant sur le continent, navaient pas cherché à intervenir dans larchitecture des monastères quils fondaient, ils préféraient amplement soccuper à des choses en lien direct avec la spiritualité et qui correspondaient avec leur mission évangélisatrice. Tout au plus pouvaient-ils soccuper de lillustration des livres saints quils portaient constamment sur eux. Les témoignages celtiques qui nous sont parvenus ne sont donc que luvre dartistes irlandais ou autochtones formés par des insulaires et qui semblent pour cela avoir voulu rendre hommage à leurs inspirateurs. Les types ornementaux que lon trouve dans les églises et que lon peut lier à la présence des Irlandais sur le continent sont essentiellement composés dentrelacs sculptés en bordures de tresses ou en panneaux plus complexes à motifs de lacets ou de végétaux. Ils viennent illustrer des motifs chrétiens ou se suffisent à eux-mêmes.
Linfluence des moines irlandais se répercute aussi bien en Gaule quen Italie. La datation de ces pièces sculptées montre pourtant quil ny a pas toujours correspondance entre lIrlande et les entrelacs quils présentent. En effet, on a vu quà lépoque où Dioclétien ne persécutait pas encore les chrétiens, ceux-ci dressaient de petits oratoires décorés de mosaïques ornées dentrelacs, comme à Parenzo, en Istrie. Réfugiés dans les catacombes, ils reprenaient ces décorations visibles à Sainte Hélène de Rome ou sous le dôme de Santa Maria di Capua.j Y a-t-il donc une relation génitrice entre lart des chrétientés celtiques et celui des églises italo-lombardes ? Puisque la réalisation de ces ornements nest ni simultanée, ni consécutive, on pourrait penser que non, pourtant leur origine commune est indéniable comme on la vu au début de cette partie. Il apparaît donc que ces entrelacs, dans les frontières de la Gaule au VIII°s, sont à la fois celtiques puisquen lien avec le cénobitisme luxovien et italiens car depuis larrivée de Colomban à Bobbio et les contacts entre lEglise dIrlande et la Papauté, les liens qui unissent ces régions éloignées sont courants. On assiste donc à une multiplicité et une réciprocité des influences artistiques. Cet art qui nappartient pas à un monde spécifique apparaît comme universel, ce qui cadre bien avec la doctrine définie comme catholique prêchée par lEglise de Rome qui rayonne sur toute lEurope occidentale.k A la fin de la période mérovingienne, quand Charles Martel profita de leffacement des successeurs de Clovis, la dynastie qui se dessinait après la victoire de Poitiers contre les musulmans, sappuya sur la Papauté pour établir sa légitimité. En récupérant à leur propre avantage les principes de gouvernement et lorganisation ecclésiale, les Carolingiens ne révolutionnèrent pas la société gallo-franque. Lart continua sa mutation progressive et, dans les églises, fit de lentrelacs un usage croissant.
On les trouve sur les plaques de chancel, sur les ambons j et sur les sarcophages. Leur aspect ne varie guère. Toutefois, le caractère très semblable de certaines pièces laisse supposer soit lexistence dateliers exportant leurs produits dans des zones très éloignées ou, plus probablement, envoyant dans ces mêmes régions des cahiers de modèles ou des artistes connaissant les techniques de réalisation de ces entrelacs. George Bain, à force de patience et de concentration, avait réussi à décomposer ces techniques basées sur la géométrie, avait coutume de dire que "si la théorie peut apprendre beaucoup, la pratique seule peut convaincre ".k Ne peut réaliser ces figures très complexes qui veut, à moins den bâcler lensemble dans un travail maladroit et, pour sûr, plus grossier quabstrait. Les propos que lon trouve de temps à autre sur ce type dornement comme sur dautres, laissent parfois apparaître une méconnaissance de la difficulté quengendrent de telles uvres.l Il est nécessaire de signaler à ceux qui pensent que ces formes abstraites constituent un échappatoire au dessin figuratif quun artiste maîtrise mal, quil est sans doute plus facile (et plus rapide) dapprendre à dessiner un quelconque animal que de réaliser la plus simple de ces bandes entrelacées. Cest ainsi que le panneau de chancel de la cathédrale de Vence ressemble aux panneaux conservés à Orvieto et à Rome.m Un fragment de Bordeaux est proche dun panneau de SantAbondio de Côme n
On pourrait allonger la liste de ces ressemblances mais celle-ci risquerait dêtre plutôt longue et rébarbative. Les annexes 8, 9 et 10 proposent donc quelques figures similaires : Milan (Annexe 8)/Angers (annexe 9)/ Vence (annexe 10) Vienne (annexe 10) /Le Puy (annexe 10) / Arles (annexe 10) Sainte Sabine de Rome (annexe 8) / Venise (annexe 8) Ces motifs, pour la plupart sculptés sur des plaques de chancel, sont de pures abstractions. Ils ont un parallèle dans lenluminure avec ce quon appelle les tapis dornement. La discussion a été vive pendant longtemps sur la signification implicite de ces panneaux. Leur datation a rejeté largument de la crise iconoclaste car bien trop tardive pour en constituer une explication. j Bien que ce rejet de limage figurative ait été latent durant de longues périodes puisque celui-ci existait dans la culture antique perse et se propageait avec les armées arabes islamisées, il ne saurait constituer une réponse suffisante car il a été démontré précédemment que lentrelacs nétait particulier à aucun pays ni aucune civilisation et quon le retrouvait sous différentes formes sur les quatre coins du globe. En fait, tous les arts abstraits fondés sur la géométrie reflètent la science primitive de lhomme en lien avec lobservation des astres. Lastronomie ou la prévision des phénomènes de lunivers a mis en évidence la notion de cycles. Toutes les grandes civilisations se sont penchées sur cette science qui ne se comprenait que par la logique mathématique et son expression schématique : la géométrie. Dans lart, reflet de lesprit humain utilisant le schéma de la symbolique, lastronomie pouvait se résumer dans ces figures religieuses quétaient les svastikas, yin et yang, triskels, roues solaires et entrelacs. Toutes mettent en place une idée de mouvement, de cycles et les civilisations qui les ont générées procèdent dune expérience commune.k
Aux plaques de chancel et ambons dAngers, de Reims, de Biesle, de Romainmotier, de Vence, de Genêve, de Vienne, de Bordeaux, de St Guilhem le Désert, du Puy, dArles et de Marseille, visibles aux annexes 7 et 8, on peut ajouter les motifs similaires des piliers du Cravant en Touraine et ceux de lambon de Cluny réalisé en 753 à loccasion de la visite du Pape Etienne II ainsi que ceux du chancel de St Pierre aux Nonnains de Metz.j On noubliera pas non plus lambon de léglise dEchternach, longtemps enfoui sous la crypte. (annexe 11) La plupart de ces motifs entrelacés sintègrent dans un décor chrétien, ils encadrent une croix ou forment une frise dans laquelle sinsèrent des figures naïves ou des symboles chrétiens, fleurs, coquillages, oiseaux ou même grappes de raisin ce qui leur donne alors laspect de seps de vigne, thème courant de liconographie chrétienne. On voit également ces ornements gravés sur des sarcophages, en loccurrence, celui de Ste Chrodara, ou Ode, morte en 730 à Amay, en Belgique, qui vécut sous l épiscopat de Floribert (727/738). (annexe 9) k La représentation gravée de la sainte est typique du travail de la pierre chez les barbares. De simples incisions en traits délimitent les reliefs du visage et du corps, si bien quà cette vue, on parlerait plus de dessin que de sculpture. Et cest bien là un grand changement qui nous éloigne du monde romain ou celte puisquon a vu que ceux ci, dans leurs uvres, maîtrisaient les volumes. Les Germains, peu habitués à des réalisations de grande ampleur, sont plus habitués à la rapidité dexécution et à la spontanéité, même dans des formes grossières. On pourrait penser aussi que, suite aux perturbations quont entraîné les invasions,l la plupart des techniques artistiques avaient été perdues ou oubliées Il nen est rien car les études montrent régulièrement que lintrusion des Germains dans lempire ne sest pas fait comme lont décrit les auteurs romains, brusque et de manière sanguinaire.
Rien ne peut légitimer la thèse dune décadence due à des facteurs militaires. En revanche, face à des barbares en nombre croissant, les goûts ont pu changer et sadapter à cette nouvelle mode barbarisante.j Thèmes chrétiens dans ces églises, les entrelacs sont de simples lacets, souvent figurés de manière végétale. Pourtant on conserve quelques témoignages de lexistence dune zoomorphie de type fantastique. Des monstres illustrent les marches qui descendent à lHypogée des Dunes à Poitiers. (annexe 12) Les hypogées étaient courants en Syrie et en Palestine durant lantiquité. Au XIX°s, le marquis de la Vogue avait fouillé ceux de ErbeyEh et de Moudjeleia. Toutefois la marque typique du paganisme mêlé à la religion chrétienne réside dans la présence de ces serpents entrelacés, symbole des forces infernales décrit comme tel dans la Bible, qui conduisent le fidèle à lintérieur du tombeau. Une autre plaque sculptée représentant des monstres entrelacés est gravée dans un marbre de léglise St Jean à Müstair (annexe 12). Directement issues du mode figuratif celtique et germanique, ces sculptures agissent comme des repoussoirs pour les forces maléfiques qui hantent encore les imaginaires des populations récemment christianisées. Ces chimères survivront encore de longs siècles dans les architectures romanes et gothiques de nos églises et cathédrales sous la forme de gargouilles et autres monstres diaboliques.
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