i les ateliers burgondes avaient généré lintégration des thèmes de lenluminure celtique dans un cadre italo-lombard, le règne de Charlemagne y combina, quant à lui, une somptuosité byzantine. Lévangéliaire de Godescalc ( annexe 36/37) fut réalisé à la demande de lEmpereur et de sa femme alamane Hildegarde, fille du comte de Souabe, morte en 783.l Les peintures en pleine page présentent les quatre évangélistes et le Christ enseignant ainsi que la première représentation centrale de la fontaine de vie en Occident.m Les vues de lapôtre Jean ainsi que du Christ révèlent des compositions dont les couleurs chaudes rappellent le style byzantin. Le décor en essai de perspective du folio 2v laisse entrevoir une claustra de treillage donnant sur des arcades comme devait lêtre une des parties du palais dAix la Chapelle. Cette multiplicité dinfluences est comme un message à une unité que lEmpereur appelle à lEurope sous le nom du Christ. Les cadres reprennent les frises dentrelacs irlandaises, les motifs végétaux italiens et les figures géométriques grecques tirées des mosaïques. Les personnages sont tous revêtus selon les modes du temps, des coussins en étoffe orientale adoucissent la rudesse du siège en bois torsadé.
Ces scènes sont familières et se rapprochent de la peinture antique mais malgré cela, elles ont du mal à atténuer la lourdeur qui sen dégage. Qui sont ces personnages ? St Jean est il Godescalc qui inscrit les textes sacrés à laide de lencre dor comme lest justement lévangéliaire ? ce nest pas impossible. La figure du Christ, jeune et imberbe correspond à la représentation du sauveur telle quon se limaginait en Italie depuis le berger des catacombes, si ce nest quil a les cheveux longs, symbole royal germanique qui nétait pas tombé dans loubli. Cest sans doute dans un atelier de lécole royale dans la ville de Mayence que lartiste Godescalc a exécuté cette commande. Lencre dor avec laquelle il a rédigé ce manuscrit lui doit également le titre de Codex aureus ( annexe 38) Le texte est écrit en petites onciales sur deux colonnes dans un encadrement dentrelacs serrés, reliés aux quatre angles par des formes évoquant des feuilles ou des coquilles. A la fin du volume, les tables pascales et le calendrier est écrit en " caroline ". Le premier évangéliaire commandé par le premier artisan de la Renaissance, de retour dItalie, a mis en place dans un même ouvrage, les grandes lignes de la réforme : Un pouvoir inspiré de lantiquité romaine et de Byzance, au nom du Christ, qui centralise autour du palais les aspirations des peuples de locéan Atlantique à la mer Adriatique.Les écoles de la Cour, inaugurées par la pourpre de lévangéliaire de Godescalc, semparent du style insulaire dans un simple but de décoration. On séloigna alors peu à peu de la simplicité parfois trop grande des ouvrages mérovingiens pour senfermer dans un foisonnement lourd de couleurs et de décors. Le manuscrit de Trèves (pas celui vu précédemment) possède une origine insulaire indiscutable. Lornementation des cadres est de type irlandais et lon pourrait le rattacher à larrivée dun moine érudit anglais nommé Alcuin.k
LAngleterre et lItalie fournirent les éléments dans lesquels lécole de la Cour puisa son inspiration. Situés dans la région entre Meuse et Rhin, parfois plus loin (Tours), les ateliers produisent des ouvrages nombreux mais présentant les mêmes caractéristiques. On en voit lexemple avec le folio 124r de lEvangéliaire de Soissons et le folio 129r de lévangéliaire de Londres (annexe 39/40).jLes lettres " Q " du Quoniam sont, à peu de choses près équivalentes, mêlant une présence humaine affirmée de manière plus rigoureuse et des encadrements où les entrelacs côtoient le marbre. On y voit apparaître les terminaisons des lettres en rinceaux. Avec cet ornement, les thèmes de lannonce faite à Zacharie ou ladoration de lagneau Ces nouvelles images visaient à compléter peu à peu le répertoire iconographique religieux qui fixerait dans la mémoire collective les grands moments de la Bible et participerait ainsi à lapprofondissement spirituel de lart.k Comme le prouve le Quoniam de lEvangéliaire dEbbon, lornementation abstraite de type végétal nétait pas absente de ce développement de lenluminure occidentale.l Le raffinement et lattention accrue portée sur les pages dIncipit qui font occuper à une phrase une page entière dun manuscrit navaient pas pour objectif unique de flatter les yeux. En se reposant souvent sur ces images, le clerc finissait par retenir inconsciemment des extraits de textes. Cette iconographie avait un but pédagogique et même si ces ouvrages nétaient pas destinés au petits clercs ignorants, cela navait pas dimportance puisque la société était tirée vers le Haut par les élites. En élevant celles-ci, on parviendrait à améliorer le niveau culturel de lEglise en entier. Quittons quelques instants lécole de la cour pour voir où en sont arrivés les scriptoria colombaniens. Cest à Corbie que lon trouve lun des ateliers monastiques les plus dynamiques.
Fondé par la reine Bathilde vers 660 sous forme de donation royale, une bibliothèque sest presque immédiatement constituée à proximité du monastère.j Les moines venus de Luxeuil apportèrent vraisemblablement leurs ouvrages liturgiques. A ce premier fond ne tarda pas à sajouter toute une série de livres recopiés au sein de latelier.k Apparenté au départ au style de Luxeuil, lenluminure corbéenne évolue vers une plus grande autonomie.l Les initiales donnent au dessin une importance plus lourde et vers le milieu du VIII°s, lentrelacs sy joint mais cest le huitième abbé Maurdramne (772/780) qui en fait un haut lieu de culture. Son successeur Adalhard énumérera les bâtiments du monastère : salle détude, bibliothèque et signalera même la présence dun parcheminier laïc.m Ses uvres mérovingienne sont détenues par les bibliothèques de Cambrai, de Boulogne, ou de Paris. Les illustrations étaient de simples lettres de couleurs ocre-rouge, vert, jaune ou violet pâle disposées en bandes auxquelles le décorateur ajoutait quelques formes doiseaux en vogue dans lorfèvrerie. Cest dans les lettrines au corps cloisonné à la manière germanique qui se multiplièrent à la fin du VIII°s que sintégrèrent les grands motifs de lart celtique venu dIrlande, oiseaux ou dragons entrelacés qui occupent la panse, la boucle ou la haste de la lettre ( annexe 42). Ces lettrines ornées ne débordent jamais sur le texte, elles entourent le dessin animalier de leur forme et quand elle prennent une place plus grande, elles abritent le dessin dune scène biblique, comme le B du Beatus Vir où David est représenté en scribe et Zacharie reçoit lannonce de lAnge. Ces deux personnages sont en lien avec le Christ, le premier parce quil est un de ses ancêtres, lautre parce quil avait annoncé sa venue (annexe 43). Ses couleurs varient entre le vert, le jaune et le violet mais cette palette pauvre est utilisée finement.
Un tapis dornement recouvert dentrelacs en frises, très rare sur le continent, fait partie des ouvrages de type irlandais conservés par la bibliothèque ( annexe 42). Ce qui fit toutefois la réputation de cet atelier, ce furent les lettrines anthropomorphes de type iranien et mises en forme avec loriginalité des artistes qui y travaillaient. Des personnages qui inspirèrent limaginaire fantastique de lart roman. Signe de cette esprit novateur resté attaché à la tradition lointaine de lOrient, les lettrines imagées faites de personnages ou danimaux en contact les uns avec les autres constituent de véritables commentaires visuels des psaumes.j Mêlé à une zoomorphie entrelacée, ces lettrines ne semblent plus appartenir à personne dautre quà elles-mêmes (voir le A composé de deux oiseaux entremêlés par la langue et les pattes annexe 42). En se détachant du vélin pourpré, des encres dor et dargent des palettes impériales, Corbie avait conservé son individualité. Elle influença énormément les ateliers voisins dArras, de Soissons, de St-Germain-des- Prés .Lécole de la Cour quAlcuin avait déplacé à Tours sur le désir de Charlemagne démarra tout doucement. Rien, dans ses uvres, ne le détachait de ce qui se faisait ailleurs et notamment à St Amand où vivait Arn, futur évêque de Salzbourg, qui reprenait majoritairement les motifs insulaires faunesques et à arcature dentrelacs.k Les décors entrelacés de ses livres sont certes réussis mais ninnovent guère ( annexe 45). Face à la trop forte concurrence que lui livraient les ateliers du nord est de la Francie, lornementation tourangelle prit son essor au prix du sacrifice de son insularité. Il faut ajouter quAlcuin, vieillissant, navait plus lâme dun mécène et cest son successeur, Fridugise qui marqua le retour aux thèmes de lantiquité sans toutefois oser lâcher les grandes initiales (annexe 46). Le monastère St Martin de Tours produisit ses plus beaux manuscrits sous les abbés Adalhard (834/843) et Vivien (844/851), leur originalité repose dans le système narratif des illustrations bibliques : Bible de Bamberg, de Grandval, de Vivien. l
Le règne de Louis le Pieux marqua une étape de plus dans lenluminure de type impérial. Mais ce sont les rois Charles le Chauve, Lothaire et, dans une moindre mesure, Louis le Germanique qui renouvelèrent lexpérience dune enluminure glorifiant lautorité carolingienne. A cette peinture royale sajouta toutefois un degré de plus, les petits fils de Charles le grand sy firent représenter en gloire. Etait-ce parce que lempire était éclaté et que la grandeur des rois était devenue moins évidente que les enlumineurs participèrent à ce qui ressemblait à une forme de propagande. En tout cas, on y voit, de notre époque, se profiler la naissance des nations française, allemande et italienne et le contentieux franco-allemand qui, tous deux, saffirmeront héritiers de lHistoire de Charlemagne.
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