a religion chrétienne qui sest développée en Irlande était centrée sur les monastères. Dans un sens, elle était orientée selon la vie qui avait cours dans ces institutions, elle variait entre le cénobitisme et lérémitisme. On sait que chaque monastère avait sa propre règle, mais celle ci dépendait surtout du contour que voulait en donner celui qui le dirigeait. La plupart du temps, labbé fondateur reprenait celle du monastère dont il était issu. On comprend parfois difficilement la différence entre une règle et une loi. En effet, il sagit de séparer, de la part dune autorité, " les actes dune réforme ecclésiastique et sociale " et ceux dun " enseignement dispensé à titre dexemple ".j Parmi les nombreuses règles qui nous sont parvenues (on en dénombre vingt quatre) se détachaient celles mises en forme par des grands noms du christianisme celte. Les règles étaient souvent présentées de manière versifiée ; on connaît celle de St Ailbe dElmy, St Ciaran de Clonmacnois, celle très courte de Columba dIona et celle de St Comgall de Bangor. Ces pièces étaient rédigées en vieil ou moyen irlandais. Pour les règles adaptées au monde continental et écrites en latin, on connaît celle écrite par saint Colomban et qui fut sans doute une reprise de celle de Bangor puisque ce moine y avait été formé.k Sy ajoute le pénitentiel de st Colomban compilé dans la Regula cujusdam patris ad monachos qui comptait vingt deux chapitres. La règle rédigée sous la dénomination Regula cujusdam patris ad virgines pour les femmes comptait vingt quatre chapitres fut, quant à elle, déjà rédigée sous linfluence bénédictine.l La règle de saint Colomban était composée dune liste des devoirs du moine centrés autour de dix valeurs : lobéissance, le silence, la modération alimentaire, la pauvreté, la chasteté, la récitation des psaumes, la mesure, la mortification et la perfection. Tous ces devoirs sont réunis dans la regula monastica. Lobéissance, la pauvreté et la chasteté se trouvent à la base de toute conception monastique : *Le moine ne jouit daucune liberté en dehors du commandement de son abbé et à plus forte raison, une fois mort.jQue le moine vive sous la discipline dun seul père et en communauté avec plusieurs afin dapprendre de lun lhumilité, de lautre la patience, dun troisième la douceur. Quil ne se mette au lit que lassé et quil dorme en marchant. Quil craigne son abbé comme Dieu et quil laime comme son père. Quil accepte comme salaire tout ce qui lui est prescrit et ne juge point lopinion de ses supérieurs car son devoir est dobéir et dexécuter.k *le moine ne doit rien mettre en dépôt sans la permission de son évêque, de même quil naura le pouvoir de disposer de rien à sa mort à moins que son supérieur ne le lui ordonne. On sait que le mépris des richesses matérielles était pour St Colomban, la première des vertus. Bède le Vénérable dit de St Colman de Lindisfarne et de labbaye du même nom, quen dehors des troupeaux, nulle richesse nest leur et que lorsquils reçoivent quelque argent, ils sempressent de le donner aux pauvres.l *Si une vierge qui sest vouée à Dieu, après être demeurée chaste, épouse un mari charnel, quelle soit excommuniée jusquà ce quelle se convertisse.m Un autre texte défend à un moine et à une vierge de descendre à la même hostellerie ou à une quelconque localité dans le même char, de converser ensemble dune façon suivie n
La récitation de la prière était essentielle pour maintenir la foi de manière permanente. Les psaumes formaient la majeure partie de ces oraisons et chaque moine récitait au moins trois cinquantaines par jour.j La récitation de ces prières était souvent accompagnées de gestes dadoration comme les prostrations, génuflexions ou les bras en croix, debout ou allongé (crossfigill). A ce propos, on ne peut résister à lenvie de se rappeler Colomb Mac Crimthann, disciple de St Finian, en extase, les bras en croix, des oiseaux posés sur les bras ou St Kevin de Glendalough qui aurait passé sept ans dans cette position, si bien que des oiseaux avaient fait leur nid sur ses bras étendus.k Ces attitudes assez excessives et également très appréciées en Orient furent conservées par les Scots lorsquils abordèrent le continent.l St Colomban disait : Cest chaque jour quil faut jeûner comme il faut prier chaque jour.m Cette coutume ascétique était assez florissante en Irlande, si bien que mercredi se disait cet ain (premier jeûne) et vendredi ain didin (ou dernier jeûne). Cette pratique était aussi coutume en Orient et également implantée au mont Cassien et à Lérins. A Rome, le jeûne avait lieu le vendredi et le samedi alors que ce dernier conservait un caractère festif en Irlande.n Le régime alimentaire était très austère. On faisait souvent abstinence de viande et de poisson. Seuls quelques plats salés de légumes formaient la base des repas auquel sajoutait un petit pain monastique. Comme boisson, les moines se contentaient dune simple eau pure ou de lait coupé. Saint Colomban, au cours de son unique repas se contentait dun peu de pain, dun uf de poule et de lait coupé.o Les moines qui suivaient un tel régime ne devaient pas être bien gros mais courageux lorsquils le suivaient en hiver au sein des rudes pays nordiques.
Afin daguerrir les corps et les curs au nécessaire sacrifice pour mieux comprendre celui du fils de lhomme, une série de pratiques dauto discipline ou mortifications, étaient recommandées. Les plus célèbres consistaient en des bains dans leau glacée, quelle que soit lépoque ou le lieu.j On avait fréquemment recours à des séances de flagellations ou dauto- flagellations. Ce châtiment pouvait être administré en public par une main étrangère ou de manière privée. Tous les vendredis de lannée, lexercice de cette peine réunissait tout le monastère.k On comprend mal à lheure actuelle ce désir de souffrir en chaque instant et de ne penser quà Dieu. Cest pourtant dans la joie et le désir de se transcender que les moines celtes effectuaient ces pratiques. Dans cette vie marginale quétait le monachisme celtique, on comptait cette forme particulière quétait lérémitisme. Certains moines se détachaient de la communauté pour vivre, à légal du Christ, dans une retraite solitaire, le lieu était un disert ou défini comme tel en Irlande, un pénitii en Bretagne.l En Armorique, saint Ronan vivait comme un anachorète. On se souvient également de saint Gall qui, avant de lâcher ses frères en Suisse, se fit construire une cellule où, détaché du monde il put finir ses jours. Le pénitentiel ou regula coenobialis légiférait au sujet des violations des principes premiers du moine : obéissance, chasteté, modération, pauvreté et silence. Il était dailleurs particulièrement sévère et oscillait entre récitation de psaumes, jeûnes, isolements ou coups de fouets m
Les peines elles-mêmes variaient suivant limportance de la faute, six coups de fouets pour avoir servi la messe sans sêtre rasé, deux cents coups de fouet pour avoir causé avec une femme sans témoins j Cette extrême sévérité pour les choses du sexe était dautant plus marquée quelles nécessitaient un fort tempérament pour les combattre. Cette pénitence était un instrument de discipline et la discipline dépendait de lacceptation de ces peines. Cet état desprit ne peut toutefois se comprendre si on ne le replace pas dans un christianisme qui avait une valeur de combat. Laffirmation permanente de la foi, la volonté, lassurance et les repères que cette religion apporte à lhomme est dautant plus marquée quelle se situe dans une " logique de front pionnier ". A cette époque, le monde, même chrétien, était encore dominé par des formes de paganisme. Les représentants du Christ sur terre devaient atteindre la perfection divine par leurs agissements, mettre en application sur eux même les principes quils voulaient étendre à la société. Ils devaient représenter aux hommes les notions incarnées par le Sauveur, lamour, la charité et le sacrifice. Mais cela ne faisait pas deux les tenants dune secte de parfaits puisquils se remettaient en question et avaient conscience dêtre pêcheurs. Ils ne désiraient pas non plus enrôler tous les hommes dans leur mode de vie mais les aider, par leur exemple et avec laide de Dieu, à devenir meilleurs. On ne peut toutefois ignorer que ces valeurs prenaient effectivement un sens concret aux yeux du monde que si on pouvait les affirmer par le sacrifice. Selon ladage "Il ny a pas de plus grande preuve damour que de donner sa vie pour ceux quon aime ", dans des temps où les chrétiens nétaient plus jetés aux lions ou néclairaient plus les jardins des empereurs, le désir du martyre était recherché.k
Saint Bernard lui-même reconnut la valeur du sacrifice des moines irlandais. " Par leur amour pour leurs ennemis, par leur résistance aux désirs de la chair, ils se sont immolés dans le secret de leur cur au Dieu tout puissant et, par là, en dépit des conditions de paix dans lesquelles ils vécurent, ont véritablement cueilli la palme du martyre. " j A ce qui était défini comme un martyre rouge, là où le sang est versé, sopposaient deux autres conceptions de martyres. Le martyre blanc se confondait avec une pratique assidue de mortification corporelle. En souffrant, les moines acceptaient avec abnégation les principes qui écrasaient leur corps et élevaient leur âme. Le martyre vert (ou bleu) consistait en une série de privations continuelles et de mortification des désirs. Les fatigues quelles impliquaient testaient la volonté du moine daccepter pleinement ce régime.k Comme le martyre blanc endurcissait le corps et lhabituait aux maltraitances de la nature, le martyre vert forgeait le caractère de lhomme par la pratique de la repentance et de la pénitence. Il lui faisait prendre conscience de la grandeur de lesprit capable de maîtriser les désirs matériels. Les règles qui régissaient les monastères de type Luxoviens durent à saint Colomban le recours fréquent au directeur de conscience et la pénitence tarifée. Bien quils y étaient au départ hostiles, les évêques réunis en concile à Châlons sur Saône en 647, entérinèrent cette procédure.l Fondateur et vivant sur le chef-lieu de son association monastique, labbé était le personnage central de la population religieuse, il avait droit de regard sur toute sa juridiction. Chef spirituel, il rendait des visites, célébrait les offices mais faisait également acte dautorité temporelle en nommant, réprimant ou déplaçant les supérieurs locaux, en surveillant la gestion des biens, en nommant son successeur éventuel.m
Labbé doublait souvent son titre de celui dévêque. Cela se faisait beaucoup en Irlande, en Grande Bretagne ou en Armorique.j En Irlande, la hiérarchie catholique navait pas été établie de la même manière que sur le continent, la charge dévêque était très diversifiée en fonction des individus, elle touchait aussi bien des abbés que de simples moines en voyage. Si une élection à une succession était nécessaire, on réunissait tous les adeptes de linstitution qui choisissaient un membre de la famille du fondateur. Les rapports sociaux étaient facilités par la discipline, lobéissance et la simplicité du mode de vie qui régnait à lintérieur du monastère. Tous les frères, anciens (seniores), travailleurs (operarii), enfants (juniores), vivaient dans la pauvreté, la continence et lhumilité.k Lhospitalité et laumône étaient fréquentes, les moines se contentant de peu ; mais dans ces temps incertains, on se méfiait des vagabonds. Les journées étaient occupées, outre par la prière, par létude, la lecture et la calligraphie. Dans les îles comme sur le continent, de nombreux moines recopiaient inlassablement les ouvrages des Pères ou les textes sacrés que certains illustraient avec un génie admirable. Leur personnalité se révèle encore par les quelques mots quils laissaient dans les marges des manuscrits. Je me souviendrai, ô Christ, davoir écrit ceci pour toi car je me sens bien las aujourdhui.l Une bénédiction pour lâme de Fergus. Amen, jai bien froid.m Hélas, ô ma main qui écris sur ce blanc parchemin, lui, tu le rendras célèbre mais toi, que deviendras tu ? Lextrémité décharnée dun fagot dos n Les manuscrits continentaux portent également de telles marques, le manuscrit 26 de Laon sera étudié plus loin. A ces travaux intellectuels sajoutaient les travaux des champs, le labourage, le soin des bêtes et toute la somme des travaux quotidiens dentretien, de réparation des bâtiments, des ustensiles
Les moines étaient peu vêtus, ils ne possédaient pas encore de robe de bure mais une tunique (tunica) en laine sur laquelle on passait une casule (cuculla) en peau de chèvre de couleur rougeâtre auxquelles sajoutait, en temps pluvieux, une capuche. Les pieds étaient couverts par des chaussures en cuir (calcei) ou des sandales (ficones). Les moines dormaient tout habillés sur une paillasse (lectuli).j Le sommeil était à légal de léveil, rude et entrecoupé de prières. On a, sur notre territoire, très peu de vestiges des monastères du Haut Moyen Age. Les guerres et lusure du temps et des hommes ont réduit ces témoignages du passé comme peau de chagrin. Seules restent quelques cryptes célèbres et relativement bien conservées.k Il semble au regard de cet héritage architectural que les techniques et les styles différaient entre le continent et lIrlande. Les constructions en Gaule étaient en bois avec des fondations en pierre. Si lon sait que les logements des cénobites comme ceux des anachorètes étaient faits de bois et dargile en Hibernie aussi bien quen Gaule, larchitecture en pierre des bâtiments principaux respectaient le cadre général dans lequel ces monastères sétaient développés. Il faut en effet savoir que les abbés fondateurs celtes (irlandais ou britons) accordaient peu dimportance aux formes ou aux allures des bâtiments dans lesquels ils sinstallaient. Le regard porté sur les influences étrangères dans lart du royaume franc laisse apparaître cette absence curieuse de style insulaire dans larchitecture des monastères fondés par les Irlandais ou les " pro-irlandais ".k Ces mêmes Irlandais, conservaient un grand nombre de leurs rites et usages et sattachaient obstinément à la tonsure en forme de demi couronne et à la célébration de la fête de Pâques à une date différente de celle de Rome et du reste du monde chrétien. Cest peut être leur différence, en tant de points, du cénobitisme gaulois qui a fait le succès du monachisme celtique.
Colomban, en débarquant sur les côtes gauloises, nétait pas venu détruire le monachisme mais le prolonger. Grâce à ses successeurs proches, la spiritualité celte connut un essor prodigieux. De nombreux évêchés (Laon, Noyon, Bâle et Maastricht) connurent à leur tête des personnes issues de Luxeuil, de nombreuses fondations sélevèrent à son exemple perpétuant ainsi le souvenir de ce saint . Le renouveau des études religieuses et la lecture de la Bible constituèrent une part de lhéritage de Colomban. Dans la suite de la pensée chrétienne irlandaise, lhomme était destiné à la vie évangélique et à la contemplation du Divin. Dans cette optique, les monastères furent des lieux privilégiés pouvant mener tous les pécheurs à la Rédemption. Le rayonnement quils répandaient dans la société mérovingienne, tributaire encore de tant de défauts (violence, problèmes de morale ), leur valut les largesses de la dynastie royale et de laristocratie. Centres de culture, ils furent aussi centres économiques et les exemptions dont ils bénéficiaient accroissaient encore leur puissance. Mais cela ne se fit pas sans heurts, le fondateur de Luxeuil, non satisfait de se mettre à dos quelques puissants, par ses prises de position, avait dû batailler contre lépiscopat gaulois quil navait, certes, pas toujours respecté.
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