ultivant son insularité, Colomban arrivé dans les forêts de Bourgogne, navait pas pris la peine de solliciter lautorisation de lordinaire de Besançon pour y installer ses fondations comme ly obligeaient les conciles dAgde en 506 et dEpaonne en 517.j Quand plus tard, il eut besoin dun évêque pour consacrer un autel à Luxeuil, il choisit un insulaire nommé Aidus plutôt que lévêque du diocèse.k Qui de lun rejetait lautre ? On ne saurait guère le deviner autrement que par intuition car aucun document natteste des rapports entre le fondateur de Luxeuil et lévêque diocésain.
Le caractère incontestablement intransigeant de Colomban a dû favoriser une mésentente presque immédiate. Ce refus de se plier à une discipline autre que celle à laquelle il se soumettait dhabitude est encore plus marqué dans laffaire de la datation de la fête de Pâques. En 314, le concile dArles avait décidé que le monde célébrerait Pâques en même temps. j Le problème était de fixer la date en conciliant le calendrier lunaire et le calendrier solaire, sachant que lannée lunaire est plus courte de 11 jours 1/4 environ. Dès le début du III°s, on sétait préoccupé de calculer le nombre dannées lunaires ou cycles pascals de manière à ce que le 14 nisan tombe le même jour. k Rome suivait le cycle dAugustalis de 84 ans. Quand le décalage entre année solaire et lunaire était de 34 jours, on y rajoutait un mois pour ne pas que la fête de Pâques se promène toute lannée. Vers 280, lOriental Anatole de Laodicée avait établi un cycle de 19 ans, plus court et plus juste. La question sétait résolue entre Rome et lOrient par ladoption du cycle oriental de 19 ans après quen 526, le pape Jean I° eût chargé son primicier Boniface détudier le problème. Convaincu de la justesse du cycle de 19 ans par Denys le Petit qui vivait à Rome, Boniface, le Pape et tout lOccident adoptèrent le cycle alexandrin. Tout lOccident ? Non, quelques moines celtes refusaient toujours la soumission au changement et conservaient le vieux cycle romain de 84 ans. Il semble que ce fut Saint Patrick qui apporta en Irlande ce calendrier. Le problème était grave pour l unité du monde chrétien. Malgré la réunion dun synode à Magh Lene en 628 et lenvoi dune mission à Rome, en 631, les choses évoluèrent lentement.l Cette intransigeance bornée des insulaires se résuma sous la plume cynique de Cummian dans son "De controversia pascali " : " Rome se trompe, Antioche se trompe, tout le monde se trompe, seuls les Bretons et les Scots sont dans le vrai. "
Les Anglo-Saxons soutinrent le Pape et saffrontèrent aux Celtes comme cela leur était courant. En 664, lors du Synode de Whitby, lAnglo-Saxon Wilfrid ancien moine de Lindisfarne (monastère irlandais fondé par St Aidan sur Holy Island à lEst de lEcosse) sopposa à Colman devenu abbé du même monastère en 661. Largument principal de Wilfrid pour soutenir lusage romain fut de rappeler les paroles du Christ à Saint Pierre " Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise et les portes de lenfer ne prévaudront point contre elle ; Je te donnerai les clefs du royaume des Cieux ".j Columba ou Colman nétant pas plus grands que saint Pierre, le roi Oswy qui présidait cette conférence trancha en faveur de Rome. Wilfrid sétait bien gardé de rappeler que les successeurs de St Pierre bataillèrent eux mêmes pendant deux siècles pour conserver ce cycle quils refusaient maintenant aux Celtes. Si une majorité sur les îles se rallia au cycle de 19 ans, le problème ne fut résolu pour les irréductibles bretons de Cornouaille et de Galles quau cours du VIII°s.k Colman vaincu et non convaincu sétait retiré à Iona en emportant les reliques de St Aidan. Dom Louis Gougaud trouva les mots justes pour décrire " le cas dun obstiné vaincu ( ) qui sen va, chargé des reliques vénérées dun saint de sa race, chercher au pays des ancêtres le droit de conserver la discipline quils lui ont léguée, discipline qui pour lui fait corps avec la foi." l Saint Colomban ne rejeta pas plus la tonsure quil arborait.m A lorigine la tonsure avait été créée vers le IV°s et venait dOrient. On en distinguait alors deux types : celle de St Paul, toujours en usage au VII°s, où le crâne était entièrement rasé et celle de St Pierre qui consistait en une simple couronne. La tonsure celtique ressemblait, comme le disait Ceolfrid " à une couronne fragmentaire " que lon voyait à lavant du crâne tandis quà larrière, les cheveux restaient longs.
Cette tonsure, typiquement irlandaise, venait peut-être des druides dont on sait quils en portaient une.j Imprégné de ses coutumes qui, plus quune règle, étaient pour lui une référence et une identité, on comprend que Colomban, dans une vie vouée à la discipline et au sacrifice de Dieu, nait pas saisi la limite entre tradition et obstination dans lerreur, surtout sil était convaincu de son bon droit. Les rapports entre les monastères et lépiscopat devaient pourtant évoluer grâce à ses disciples. Walbert ou Waldebert, le deuxième abbé de Luxeuil, mêla la règle de St Benoît à celle qui prévalait alors dans la plupart des monastères de type insulaire sur le continent.k Plus tard, Eloi, fondateur de Solignac en 632, y introduisit également cette double règle. La charte de fondation du monastère stipulait par ailleurs quaucune personne hormis le roi ne pouvait exercer aucun pouvoir sur les personnes ou sur les biens du monastère. Seul labbé de Luxeuil avait autorité sur lobservance de la règle.l Saint Faron, évêque de Meaux, se réservait dans un privilège quil accorda à labbaye de Rebais en 648, dappeler lévêque de son choix pour la consécration dun autel ou du saint-chrême ou pour conférer les ordres. Saint Omer, ancien moine de Luxeuil, fit de même en 663, en faveur de labbaye de St Bertin. Cette charte fut soussignée par Mommelin de Noyon également sorti de la seconde fondation de Colomban.m On en connaît bien dautres, comme celle de Numérien de Trèves en faveur du monastère de Galilée fondé par Déodat. Ou celle de Sainte Marie de Soissons. Seuls Saint Ouen, évêque de Rouen et quelques autres évêques tentèrent de limiter lindépendance des monastères dans le cadre de leurs diocèse en conservant les anciens principes de discipline et de juridiction épiscopale.
Bobbio reçut lexemption des mains dHonorius I° en 628 et fut le premier monastère affranchi de toute juridiction épiscopale et placé sous lautorité supérieure du pape seul.j Les papes verront toujours dans la discipline monacale et son zèle missionnaire, les éléments de progression de lEglise. Ils nhésitaient pas à soutenir les Irlandais contre les évêques mais ce soutien nétait pas indéfectible. La discipline la plus zélée du monastère le plus admirable nétait en rien supérieure à celle établie par Rome sur lOccident. Colomban lui-même était entré en correspondance avec Grégoire le Grand "le réformateur " et auteur des Dialogues. De Rome, ce dernier lui avait envoyé des commentaires sur le Cantique des Cantiques et des homélies sur le Livre dEzechiel.k De son côté, Colomban lui avait fait part de sa position au sujet de la date de Pâques ou de la tonsure mais on na pas de trace dune quelconque réponse de Rome bien quon en connaisse le sens. Les Irlandais nétaient pourtant pas les seuls à être sous lil attentif du pape ou des évêques. Un siècle plus tôt, vers 515-520, les deux prêtres bretons Lovocat et Catihern subirent la pression de trois évêques de la province de Tours qui leur demandaient dabandonner linstitution des conhospitae dans laquelle les femmes étaient associées au ministère de lautel.l Les chrétientés celtiques exerçaient à légard de létranger une certaine méfiance teintée dautonomisme. Cette conscience dune différence bretonne ou irlandaise sest sûrement trouvée renforcée, outre par les difficultés de communication dans des temps de grandes migrations, par le côté patriarcal que présentait ce monachisme. Les Scots conservaient fidèlement lhéritage des " Pères de lIrlande " très liés au pape et étant un peu imbus de cette catholicité, rejetaient tout changement. La règle de Saint Benoît de Nursie, abbé du Mont Cassin, fut dabord adoptée en 620 par labbaye de Hauterive, dans le diocèse dAlbi puis par celle de Fleury sur Loire cinquante ans plus tard. Bien que plus ancienne que celle de lIrlandais, celle ci nallait pas tarder à simposer.m
Les deux règles, celle de Benoît et celle de Colomban nont pas été les seules de leur époque et elles ne sont pas forcément entrées en concurrence lune contre lautre. On rappellera que ce furent les successeurs de Colomban qui participèrent à leffacement progressif de sa règle pour en donner une multitude. La plus célèbre reste néanmoins celle dite " du Bienheureux " et dans laquelle on retrouvait à peu près deux tiers des recommandations de Benoît et un tiers de lIrlandais.j LArmorique fut un peu plus lente à adopter la règle bénédictine. Convoïon, archidiacre de Vannes, soutint son introduction dans labbaye de Redon, par lintermédiaire de Gherfred, vers 832.k Mais à la différence de Luxeuil, cette adoption de la règle fut imposée par les pouvoirs politiques de Louis le Pieux et de Nominoé. Chaque nouvelle règle, mélange varié des deux précédentes, était propre à chaque monastère et les monastères formaient chacun une entité indépendante, ce qui se remarque bien dans labsence de plan et de structure communes.l A Fleury, il y avait deux églises, à Nivelles, Centula (St Riquier), Fontenelles (St Wandrille), il y en avait trois, à Jumièges, cinq. Les bâtiments en pierre remplacèrent les constructions de bois qui prévalaient depuis la fondation de ces monastères, ces nouveaux murs contribuèrent à renforcer lassise des institutions luxoviennes dans la société précarolingienne.m
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