III Les expansions irlandaises des VIII° et IX°s :

La vague irlandaise au VIII°s :

ette vague d’insulaires bien qu’équivalente à la précédente dans ses objectifs, en diffère quant à la forme qu’elle revêtit. Sensiblement moins nombreux, les irlandais étaient également très diversifiés. On y trouvait des évêques mais aussi des vagabonds véhiculant des hérésies.

     L’implantation de ces Irlandais se faisait plutôt à l’est du Regnum Francorum, là où les campagnes nécessitaient un travail d’évangélisation plus accentué, mais aussi là où le pouvoir politique semblait s’implanter. La dynastie pépinide qui prit peu à peu le relais de rois mérovingiens essoufflés venait d’Austrasie.

     Parmi les noms qui en ressortent, on connaît celui de Tuban, fondateur avec le dénommé Benedictus, du monastère de Honau sur une île du Rhin, près de Strasbourg, qui servait de halte et de base de repos pour les Irlandais partant en direction de la Hesse et de Mayence.j Altomünster dans le diocèse de Freising fut fondé par Alto dans le même temps.

     Fergal, de son nom latinisé en Virgile, après avoir été abbé en Irlande, aborda le continent vers 743. Après avoir fondé le monastère de St Pierre de Salzbourg, il remplaça l’évêque Jean au siège ecclésial de cette même ville dont il ne fut ordonné évêque qu’en 755, après la mort de Boniface avec qui il avait eu des démêlés au sujet du baptême et de ses positions, très audacieuses pour l’époque, sur les antipodes.k

     Dans la région de Cambrai, des moines compilèrent et calligraphièrent pour Alberic (mort en 790) les canons de l’Hibernensis dans laquelle on retrouve un fragment d’homélie en irlandais.l

     Enfin, Pépin appela le Scot Abel sur le siège de Reims et ce choix fut confirmé par le pape Zacharie.m

     On vit également des Scots au Sud de la Loire, même si, depuis le début des migrations monastiques irlandaises, ceux ci s’y étaient faits rares. C’est ainsi qu’à Cahors, on connaît Arnanus et Ansoald, l’évêque de Poitiers, qui hébergea un certain Romanus. Toutefois, la grande vogue des pérégrination touchait à sa fin. D’autant plus qu’elle subissait, en haut lieu, les attaques de Boniface, apôtre de la Germanie, et la défaveur naissante de la papauté qui lui préférait désormais le zèle anglo-saxon.

j La charte de donation du monastère date de 722-723

k Dom Louis Gougaud : Les chrétientés…, op. cit., p. 152. On le connaît aussi sous le nom d’Aethicus Ister. Dom Louis Gougaud : Les saints irlandais hors d’Irlande, op. cit., p. 170

l J. Heuclin : Aux origines monastiques de la Gaule du Nord, op. cit., p. 134

l m Dom Louis Gougaud : Les chrétientés celtiques, op. cit., p. 288 ; p. 153

     Si Boniface reprochait aux Celtes l’obstination de pratiques jugées suspectes, il faut reconnaître qu’il aurait pu être influencé par l’exemple de ce que Gougaud appelait " les déchets de l’émigration ". En effet, de nombreux épiscopi vagantes qui circulaient dans les zones rhénanes, sans valeur religieuse autre que les titres qu’ils s’attribuaient, prêchaient toutes formes d’hérésies à des populations à peine christianisées.

     Ainsi, Clément rejetait le célibat ecclésiastique, la valeur des écrits des Pères de l’Eglise et des conciles, faisait du Christ le libérateur inconditionnel des bons et des méchants sans reconnaître la valeur de la contrition (" on ira tous au paradis "). De même, Samson proclamait l’inutilité du baptême pour le salut des chrétiens.j

     De nombreux conciles condamnèrent ces hérésiarques. Le concile germanique de 742, réuni à l’instigation de Boniface, ordonna l’établissement d’une enquête pour les évêques vaguants qui seraient inconnus.k

     Le concile de Soissons de 744 obligea les clercs itinérants à se faire reconnaître par l’évêque diocésain.l

     Toute une série de conciles énumérèrent des mesures destinées à endiguer la multiplication de ces brebis galeuses, il s’agit des conciles de Ver en 755, de Mayence, de Tours et de Châlons-sur-Saône en 813.m C’est au cours de ce dernier concile que fut conférée la nullité des ordinations établies par des évêques Scotti qui n’en étaient pas.n 813 ne fut pas une bonne année pour ces Scots réfractaires, puisqu’un capitulaire daté de septembre, résuma toutes les dispositions précédentes en y ajoutant l’obligation pour chaque évêque de renvoyer chez eux tout clerc étranger non autorisé.o

j Dom Louis Gougaud : Les chrétientés celtiques, op. cit., p. 154

k Mansi : Concil., XII, 367, Concilium Germanicum, IV

l Mansi : op. cit., Concil. Suessionense, V

m Mansi : Concil., XII, 583, Concilium Vernense, XIII
Mansi : Concil., XIV, 71, Concilium Moguntiacum, XXII
Mansi : Concil., XIV, 85, Concilium Turonense, III, XIII

n Mansi : Concil., XIV, 102, Concilium Cabilonense, II, XLIII

o Dom Louis Gougaud : Les chrétientés celtiques, op. cit., p. 154-155, toutes ces dispositions y sont résumées.

     Charlemagne lui même, bien qu’appréciant les Scots, ne montra guère de faveur envers les moines qui ne respectaient pas la discipline ecclésiastique. C’est ainsi qu’en 795, l’empereur avait renvoyé dans sa patrie, par l’intermédiaire d’Offa, roi de Mercie, un Scot suspect d’avoir mangé de la viande en carême afin qu’il fût jugé par son évêque.j

     Mais Charlemagne s’efforçait de défendre le mieux possible ceux qui lui faisaient l’honneur de passer ou de s’installer dans ses Etats en y respectant les lois. En 774, il avait ordonné de restituer les biens des Scots d’Honau et le sixième canon du concile de Tours de 813 obligeait les évêques à recevoir à leur table les étrangers et les pauvres.k

     C’est que l’empereur désirait avant tout attirer à lui toutes les têtes savantes, artistes, théologiens, philosophes, et la foule des pèlerins en route pour Rome qui pourraient prier pour la protection de l’empire. Dans le cadre de la Renaissance carolingienne, on vit une foule de noms prestigieux entourant l’Empereur de leur intelligence et qui, pour un grand nombre, étaient étrangers, italiens comme Pierre de Pise, Paulin ou Paul Diacre, anglais tels Alcuin, Sigulf, Witton ou Fridugise, espagnols à l’exemple de Théodulf et les Irlandais ne manquaient pas à l’appel.

j Dom Louis Gougaud : Les chrétientés celtiques, op. cit., p. 155

k Mansi : Concil., XIV, 84

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