es Italiens avaient eu, au début du règne de Charles, la faveur de lempereur, puis la personnalité de lAnglo-saxon Alcuin domina le monde de la culture de 782 à 796. A cette date, on vit quelques Irlandais les remplacer. Après avoir achevé leur rôle dans leur idéal ascétique, les Irlandais furent " récupérés au profit dune uvre de restauration culturelle ".l Clément et Dungal, moines de St Denis, sinstallèrent au palais. Ils débarquèrent en compagnie de marchands bretons et nauraient réclamé pour tout salaire que du vin et le couvert.m On retrouve là un désintéressement pour lequel les ascètes irlandais sétaient rendus célèbres. Clément fut le précepteur de Lothaire et fut maintenu dans ses fonctions par Louis le Pieux.
On connaît moins Dungal derrière qui on devinerait plusieurs personnes. Lun dentre eux aurait renseigné Charles au sujet de la double éclipse de soleil de 810 et quon identifierait au mystérieux Hibernicus Exul, un autre, évêque de son état, nous est connu par Alcuin ; un suivant aurait été nommé sous Louis le Pieux à la tête de lécole de Pavie et aurait défendu le culte des images auquel était opposé Claude de Turin.j On connaît enfin un certain Joseph le Scot, ami et disciple dAlcuin, qui aurait composé un commentaire sur Isaie.k Le règne de Louis le Pieux présente un nombre limité dIrlandais. Cest sûrement le géographe Dicuil qui sen détache le plus. Il avait envoyé à lempereur un traité dastronomie et composa à sa suite le fameux Liber de mensura orbis terrae dans lequel il reprenait les connaissances des Romains et dIsidore de Séville en y ajoutant toutefois quelques nouveautés sur les îles Feröe et lultima Thulé.l Cest cependant vers 840 que lémigration irlandaise se fit à nouveau plus importante. On trouvait encore des Scots établis dans divers coins de lempire, à Milan, à Vérone, à Lucques, à Bobbio (Cummian en était lévêque) et à Fiesole pour lItalie. En Alémanie, Moengall dirigea le scriptorium et lécole du palais. En Lotharingie, Drogon de Metz y accueilli Muretach qui composa un commentaire de Donat. En 845, Sedulius, véritable savant aux multiples disciplines, poète, grammairien, théologien, exégète et moraliste, sinstalla à Liège avec quelques compagnons de la même veine (Dermoth, Fergus, Blandus, Marcus et Bentchell). Il simposa bientôt auprès des évêques de Cologne, de Metz et à celui de la ville où il résidait, lévêque Hartgaire. Peu fortuné, les leçons quil proposait lui apportaient les ressources nécessaires, surtout lorsquil intéressait Lothaire et son épouse Irmingarde, ainsi que Louis le Germanique.m
Avec le règne de Charles le Chauve, le cadre des études sélargit. Les Irlandais, qui y furent les plus nombreux des savants étrangers, touchèrent également aux formations patristiques et philosophiques. Le simple désir de Charlemagne de voir des prêtres parler correctement le latin fut vite dépassé par le talent de gens comme Sedulius, Jean Scot Erigène ou Martin Scot. Outre Cambrai où le scriptorium était toujours actif puisque deux sacramentaires écrits sous Hildoard (790-816) et un pénitentiel sous Halitgaire (817-831) trahissent la présence de deux Irlandais, on trouve aussi la présence érudite du grammairien Dunchad à Reims.j Des poètes auraient exercé leur art à Soissons et un vieil évêque breton nommé Marc, reclus au monastère de St Médard et Sébastien, finissait ses jours en racontant à Heiric les faits et gestes de saint Germain dAuxerre ce qui aurait pu être difficile à croire vu lâge qui séparait ces deux personnes.k Cest toutefois à Laonl que les Irlandais furent les plus nombreux et les plus réputés comme le relatent les propos dHeiric dAuxerre dans sa préface de la vie de saint Germain, " Voici que lIrlande entière, méprisant la mer et ses dangers, se transporte sur nos rivages avec la troupe de ses philosophes. Plus un Scot est instruit et habile, plus il se décide volontiers à cet exil pour répondre aux vux du nouveau Salomon." m Les Scots, parce quils venaient dun monde opposé aux colonnes du Parthénon, ne furent jamais bien considérés quand on touchait cette discipline supérieure quétait la philosophie. Le romain Anastase le Bibliothécaire navait-il pas dit dErigène " ce barbare qui vit aux confins du monde civilisé a pu traduire Denys lAréopagite mais peu assuré du sens, il sen est tenu à la lettre." n Dans la préface de cette traduction, Jean Scot Erigène exalta le zèle religieux de Charles le Chauve qui, au milieu de ses soucis (attaques des Normands et guerres intestines), avait su garder un intérêt pour les études des Pères grecs et ne pas se contenter des Pères latins. Le roi avait en effet demandé à ce dernier de refaire la traduction très défectueuse de la " Hiérarchie céleste " de saint Denys lAréopagite que les moines de labbaye de St Denis conservaient précieusement depuis lépoque de Pépin le Bref, pensant détenir un ouvrage de Denis le martyr de Paris.j Impatient de consulter louvrage terminé, Charles pressait le traducteur qui, se détachant des mots, essayait de le comprendre et den interpréter les idées. Erigène avait gagné le continent vers 845 et fut nommé à lécole du palais. Se rendant souvent à Laon où de nombreux compatriotes résidaient, il sadjoignit les services de Martin Scot dans les traductions de grec qui étaient nécessaires à ses études. Outre Denys, il traduisit Grégoire de Nysse " Sur les images ", annota et commenta Martianus, Capella et Boèce. Dans son traité " de divisio natura ", il organisa une compilation et une synthèse de la culture latine. Théologien émérite, il glosa lévangile de St Jean, analysa la pensée de St Augustin et prit part aux grandes querelles théologiques concernant la nature divine. Il sopposa à Godescalc au sujet de la prédestination. Il encourut les foudres de plusieurs conciles pour le panthéisme implicite qui se dégageait de ses uvres.k Son traité " sur la division de la nature " se voulait une clarification du dogme en rapport aux opinions des philosophes antiques utilisant pour cela la logique et la dialectique platonicienne. En résumé, pour Erigène, la raison se fonde sur la foi et la confime.l
A légal de Platon, il soutint la thèse affirmant que le soleil est au centre du monde. Il rejoignit dans cette position lattitude téméraire et aventureuse quavaient défendu ses compatriotes Virgile et Dicuil.j La grande vogue de la fin de la Renaissance carolingienne fut dapprendre le grec. Les Irlandais, dans leur île ou leurs monastères expatriés, en possédaient quelques bribes, de nombreux manuscrits présentent des termes grecs écrits comme tels ou transcrits en latin. Les Irlandais présents dans la péninsule italienne avaient ravivé les études de grec. A Milan, une lettre écrite par un Scot sur la traduction dun psautier rédigé en grec latteste.k Le maître de lécole de Laon fut un Scot appelé Martin. Les annales de Laon nous donnent à son sujet deux précieux renseignements. Elles indiquent quen " lan 819 Martin est né, il sera maître de Laon " et quen " 875 Martin dans le Christ sest endormi. " l A la suite dun travail acharné et avec laide de ses compagnons, il laissa plusieurs ouvrages. Son premier concerna un commentaire dun ouvrage de Martianus Capella, avocat païen de Carthage et contemporain de St Augustin.. Martin tira profit de son étude du " Mariage de la Philologie et de Mercure " pour lenseignement des arts libéraux au sein de lécole de Laon.m En relation avec ses compatriotes Sedulius, Erigène et Probus de Mayence comme avec les continentaux Servat, Loup de Ferrières et Pardule, évêque de Laon, Martin Scot réalisa pour eux de nombreuses études et travaux. Pour Jean Scot Erigène, il établit un dictionnaire gréco-latin qui reste lun des meilleurs témoins de la culture grecque à lépoque de la Renaissance carolingienne.n
Martin Scot, fidèle à toutes les formes de culture antique sétait dailleurs amusé à rédiger des poèmes en écriture tironienne, cette écriture inventée par Tiron, esclave de Cicéron et qui servait à prendre en note les discours. On en conserve un exemple dans le manuscrit 444 de la Bibliothèque de Laon.j On ne peut mieux mesurer limportance et léclat que les Celtes et surtout les Irlandais ont donné aux centres de culture que furent les monastères du Haut Moyen Age et les écoles carolingiennes. La trace quils y ont laissée senfonce dans le corps de la pensée occidentale. Cette appartenance à une celtitude est dépassement de soi, confiance et fidélité en Dieu, elle est mystère. Saint Colomban et Scot Erigène ont délimité cette vague qui, comme celles de locéan, déferlent parfois brusquement pour disparaître dans le reflux et apparaître à nos yeux comme un mirage. La présence irlandaise dans ces nombreuses villes de lOccident aurait pu se développer mais, comme lEurope entière, la belle Erin subit, en cette fin de siècle, les invasions meurtrières des Vikings. Ici comme ailleurs, la culture et les arts allaient en souffrir et les Irlandais naborderaient désormais plus nos côtes comme ils lavaient fait pendant si longtemps.
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