Introduction : première page

’art du Haut Moyen Age est peu connu du grand public. Dans l’esprit de nombre d’entre nous, cette époque doit à la présence de peuples dits barbares, la responsabilité de la chute de la civilisation gréco-latine sur laquelle notre Occident établit ses valeurs les plus anciennes. La grandeur et la somptuosité des agglomérations romaines laissent place à un tissu plus parsemé de villes ne gardant du souvenir antique que des ruines laissées à l’abandon faute de pouvoir les entretenir. Ce recul progressif de l’urbanisme d’une modernité pourtant étonnante s’accompagne d’une perte de savoir-faire en matière d’architecture, de mosaïque, de statuaire, d’enseignement des belles lettres. Cette image de la décadence d’une brillante civilisation se reporte sur les nouveaux maîtres du Monde que sont les guerriers germaniques. Pour avoir contribué à l’effacement de tels témoignages, les aspects les plus chaleureux de leur culture sont tombés en désuétude. Cette injustice n’est pourtant pas la responsabilité unique des écoles classiques de la Renaissance ou de la Révolution, elle fut mise en place par une partie de la Renaissance carolingienne qui voyait en l’installation de l’empire et l’imitation de Byzance une manière de s’affranchir de la responsabilité du triomphe des barbares sur Rome. A la fin du XIX°s, suite au développement de l’archéologie et de la critique historique, les témoignages les plus divers des époques passées redonnèrent des lettres de noblesse à l’héritage artistique germanique. On se rendit compte alors que le fourreau d’épée de Childéric valait bien la cuirasse d’Octave Auguste.

     Dans cette optique, il apparaît important de connaître les aspects majeurs de l’art du Haut Moyen Age. Pour un tel dessein, un mémoire n’y suffirait pas, c’est pourquoi il est indispensable de se fixer des limites, bien que cela puisse poser problème. Comment, en effet, se restreindre à un art que l’on a longtemps défini comme celtique quand les caractéristiques qui le composent se retrouvent dans des civilisations souvent éloignées dans l’espace et dans le temps…Le travail de synthèse que suggère un sujet aussi vaste risque de déboucher sur des contresens et une abusive simplification. Afin d’éviter cela, on prendra conscience que l’art celtique a subi ce foisonnement d’influences qui circulaient alors en Europe. Des origines orientales et nordiques ont fusionné dans un style vivant et mystérieux, enraciné dans les souvenirs des ancêtres païens, régénéré par les thèmes du christianisme universel. Le terme celtique est bien sûr un terme générique qui ne recouvre qu’une globalité. Le charme de cet art redécouvert au XII°s par Giraud le Cambrien repose en grande partie sur les enluminures des évangéliaires irlandais. Par extension, on a pris l’habitude de définir cet art à partir de la civilisation qui l’avait généré. Les Irlandais sont des Celtes, l’art irlandais est devenu l’art celtique. Cette définition, bien que pratique puisqu’elle établit un parallèle entre peuple et culture dans une aire d’influence donnée (le monde celtique en opposition au monde latin ou germanique…), oublie toutefois les multiples interdépendances qui ont lié des peuples souvent voisins, surtout à des époques de migrations importantes. Il est un fait certain, à l’heure actuelle, que les orfèvres irlandais se sont inspirés des ouvrages de leurs voisins saxons lorsque ceux- ci envahirent l’île de Bretagne. L’art celtique est né de l’art nordique, de même que ce dernier n’a pas été exempt d’influences orientales venues des steppes ou d’Iran…Comme on le voit, on pourrait conjecturer longtemps sur ces définitions sans jamais en avoir de définitive.

     Le sujet de ce mémoire est donc défini par des critères artistiques prenant en compte les styles hérités de la période de la Tène (spirales) et ceux rendus célèbres par les Irlandais et repris à travers tout le continent (entrelacs, certains types zoomorphiques et anthropomorphiques). C’est donc cela qu’on entendra par influences celtiques.

     Mais cela ne fera pas de chaque objet présentant ces critères une pièce d’art celtique car les orfèvres, à la période mérovingienne, dépendent plus de l’influence culturelle des peuples nordiques que de celle des celtes insulaires. L’intérêt est donc d’établir et d’expliquer l’évolution qui a fait passer des aspects artistiques similaires de l’aire nordique à l’aire celtique.

     L’étude de ces témoignages d’un passé encore sombre s’étend sur plusieurs siècles. Les pièces d’œuvres présentant les caractères requis apparaissent sur notre sol national au VI°s pour se perpétuer jusqu’au XI°s sous des formes changeantes, la période la plus digne d’intérêt s’arrête néanmoins au X°s avec la dislocation définitive de l’héritage impérial et avec la quasi-disparition des irlandais sur ces terres.

     La zone géographique étudiée pour cette question pose également un problème de définition. Cette étude prenant à la fois en compte la présence de Britons émigrés sur la péninsule armoricaine et d’Irlandais à la Cour de Charles le Grand, comment définir d’un seul terme la Gaule comprenant l’Armorique et le Royaume des Francs, plus étendu à l’Est surtout sous le règne des Carolingiens ? Car c’est bien de l’amalgame de ces deux territoires qu’il s’agit lorsqu’on traite de l’Histoire de France en cette période du Haut Moyen Age.

     Comme on le voit, il est malaisé de cadrer une étude dans une société dont les repères changent et se transforment souvent imperceptiblement. Il est néanmoins nécessaire d’en définir avec des réserves les principaux aspects afin que la synthèse qu'on en tire soit la plus probante possible.

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