es pièces dorfèvrerie qui seront étudiées au cours de cette partie présenteront toutes les caractères celtiques de la Tène ou les caractères nordiques qui seront repris et diffusés à grande échelle par les Irlandais au VII°s. Cest à dire : spirales et entrelacs plus ou moins complexes, en lacets ou de type zoomorphiques. Il faudra bien faire la différence entre les types culturels des pièces dart et lorigine ethnique de leur propriétaire qui ne sont pas toujours identiques. Ceci est valable également pour les objets à caractère religieux. Plutôt que de réaliser un catalogue complet des parures présentant les caractères requis (travail long qui risquerait dêtre monotone), il apparaît plus judicieux de se pencher sur létude de quelques cas regroupant lensemble des styles recherchés sur la durée du Haut Moyen Age. La première installation des barbares sur le territoire septentrional de lempire est mise en évidence par la présence de tombes à mobilier ou à incinération dans des cimetières romains tardifs. Ces nécropoles sont parfois mixtes, cest à dire présentant des modes dinhumation différents, ce qui permet den étudier lenvironnement social et politique. Le cimetière de Vireux-Molhain sur la Meuse (Ardennes) entre Dinant et Charleville-Mézières, a révélé quarante sept sépultures dont quatre à incinération. La fouille de ce site, réalisée par J.P. Lémant, a conclu à une occupation principalement (ou exclusivement) germanique.j La proximité dun fort romain tardif explique les six tombes armées de haches, lances et épées. Les guerriers qui sy trouvaient étaient intégrés dans larmée romaine et vivaient avec leurs familles dans ce poste militaire dont ils assuraient la défense. La tombe n°22 et datée de la seconde moitié du IV°s, contenait une garniture de ceinture en bronze à décor biseauté représentant des frises en " S " et en " C ", des spirales, des triskels et des svastikas (annexe 13). Voir ces deux symboles religieux que sont la svastika et le triskel sur une même pièce est assez rare, ce dernier étant plutôt commun aux Celtes de la Tène (voir le casque dAmfreville, annexe 6). La croix gammée est, par contre, dusage courant chez tous les peuples dorigine indo-européenne, des Grecs aux Scandinaves, y compris les CeltesCest que les thèmes du paganisme occidental possédaient une grande liberté de voyage et dinterprétation, cest pourquoi Germains et Scandinaves avaient des dieux identiques tandis que des divinités romaines et gauloises se fondaient parfois entre elles. Il ny avait en fait aucune unité dans ce paganisme et seuls les druides constituèrent probablement en Gaule une force capable de cimenter les tribus et de sopposer à lextension de la civilisation romaine. Pour cette raison, les empereurs Tibère et Claude les condamnèrent à lexil.k
Dans des zones frontalières, ces symboles étaient donc compris et acceptés par des membres de différentes cultures. Le triskel représentait les quatre éléments composant les forces de la nature, eau, terre, feu et au centre, lair. Le mouvement donné à ce symbole unifiait ces éléments en un seul pour rappeler à lhomme limportance et linterdépendance de chacun dentre eux. Tous existent avec leur contraire et leur complément. Ce même mouvement est donné par la svastika comme ailleurs par la roue solaire le mouvement donne le temps. La nécropole du castellum dOudenbourg, est située sur le litus saxonicum qui était la zone de défense côtière contre les pirates saxons de la mer du Nord. Suite à la transgression flandrienne, ce camp apparaît aujourdhui à huit kilomètres à lintérieur des terres, pourtant celui-ci était bel et bien sur la côte au IV°s. Sans doute désaffecté au début du V°s, alors que les troupes dAlaric saccageaient Rome, ce fort était occupé, le siècle précédent, par des limitanei, soldats qui protégeaient les frontières.j En majorité romaines, les 216 tombes fouillées à quelques centaines de mètres du fort contenaient peu de matériel. Seules les quelques sépultures germaniques masculines et féminines ont révélé des objets dorfèvrerie. La tombe n°3 contenait les éléments dune garniture de ceinture en bronze et à décor biseauté. (annexe 13)kLa grande plaque-boucle, les deux plaques pentagonales et le ferret ont un décor équilibré de spirales en " S " et de feuilles alignées en épis. La spirale concentrique qui orne une des pièces pentagonales donne à lensemble un aspect de mouvement. Que représente-t-il, la foudre, le vent, leau, qui sait ? Ce que lon croit, cest que ce genre de figures symbolisent les éléments de la flore. Deux têtes animales rejointes par un cou immense forment la boucle et représentent la faune. A ce qui aurait pu donner un dessin naïf, labstraction qui sen dégage lui donne force et maturité. Le guerrier pense-t-il alors être protégé par les forces de la nature enfermées dans la ceinture quil arbore ou ne la porte-t-il que parce que ses ancêtres faisaient de même comme avant eux, dautres encore ? On lignore
Les techniques afférentes à ces types dornementation sont héritées de lorfèvrerie romaine et danubienne, elles sont toutefois peu variées. Pour le plus grand nombre, les artistes germaniques utilisaient la méthode de la " cire perdue ". Une fibule ou une plaque étaient coulées dans un moule de cire puis, une fois retirées, était ornées de mille façons par incision (technique du repoussé). Ce sont là décors géométriques ou à spirales. Ces objets étaient dorés ou argentés au feu à laide de mercure. j Outre lorfèvrerie cloisonnée empruntée aux Sarmates via les Goths, dès le V°s, sajoutent les techniques du filigrane, soudures de fils dor et dargent entaillés qui simulent une enfilade de perles k et, au milieu du V°s, de la damasquinure, incrustation de filets dor et dargent. Moins riche que ces dernières, la technique ornementale de lestampage était destinée à une production en série. Une matrice en bronze servait à imprimer le décor sur des tôles de bronze, dargent ou dor, telle celle découverte à Worms-Abenheim en Allemagne, ornée dentrelacs figurant un dieu à la chevelure abondante. l Les fibules du V°s paraissent peu prestigieuses car à cette époque, le cloisonné polychrome connut une grande vogue et se prêtait difficilement aux formes courbes. Les figures ornementales étaient toujours plus ou moins dépendantes des mêmes techniques, spirales et " S " ou " C " incrustés symétriquement le long de la pièce comme à Charnay ou à Sainte Sabine (annexe 14). Dès la fin du V°s, certaines techniques furent plus répandues. Le filigrane venait parfois enrichir le tout et se mêlait à quelques incrustations de pierres comme sur la fibule ronde de Bassecourt (annexe 14) ou se présentait seul en forme de point dinterrogation et rondelles comme sur celle dHordain (annexe 12) ou en tresses et entrelacs comme à Hardenthun (annexe 14).
Les entrelacs prirent alors, dès le siècle suivant, une plus grande envergure. Simples symboles au départ, gravés sur lardillon des plaque-boucles comme celle de Genêve et Noiron sous Gevrey (annexe 15) ils semblent reprendre les figures courantes au Bas Empire.La plaque boucle découverte à Saosnes (annexe 15) présente sur son corps un sarcophage dans lequel est placé un personnage serré dans des bandelettes entrelacées, comme momifié. Or le sarcophage en pierre ou en métal était presque exclusivement utilisé par les Gallo-romains. La cuillère en argent découverte à Tournai arbore, le long du manche une tresse courante sur les mosaïques romaines (annexe 15).Il est reconnu que létude des sépultures ne reflète pas lorigine ethnique du mort mais, plus généralement, sa position sociale. On sait que les liens entre les héritiers de Rome (qui nétaient pas tous de pure souche) et les barbares devinrent nombreux dès que les chefs de ces derniers se furent convertis au christianisme.j On avait déjà un aperçu de la barbarisation de lempire quand les nobles familles de Rome choisissaient un patronyme à consonance gothique, ce sentiment se renforce à la vue de certains aspects figuratifs peu communs au monde germanique découverts sur certains bijoux. On peut donc comprendre la présence accrue de lentrelacs dans lornementation barbare comme la récupération de lorfèvrerie et des coutumes vestimentaires germaniques par certaines élites de lempire soucieuses de garder leur place dans la société Mais ceci nest quune supposition. Fait troublant, le monde lombard connut cependant la même évolution, les croix dor découvertes à Cividale lattestent (annexe 16) kAu VII°s, âge dor de lorfèvrerie de parure barbare, ces entrelacs devinrent à la fois plus abondants et plus complexes. Simples rubans, ils sont disposés en colonnes, en cadre ou en cercle Ils sont alors le signe dune abstraction artistique qui, cependant, perd peu à peu de la popularité. L annexe 15 présente la figure assez audacieuse de la plaque-boucle de Noiron sous Gevrey, en Côte dOr, datée du début du VII°s. Lentrelacs gravé sur le corps de la pièce tourbillonne autour dune sorte de chrisme ou de symbole solaire.
Peu à peu, depuis la fin du siècle précédent, ces motifs stylistiques sétaient multipliés. Placé sur les pièces mineures des garnitures de ceinture, de chaussure ou darnachement, lentrelacs occupa désormais une place centrale et se maria à un ensemble de formes géométriques (Plaque-boucle de Villaret, annexe 15 et de Tabariane, annexe 17) ou figuratives (Plaque-boucle à têtes humaines de Tabariane, annexe 15) sans cesse changeantes. Les artistes qui lutilisaient savaient-ils ce que signifiait cet enchevêtrement de lacets ou ne se contentaient-ils que de suivre une mode qui bientôt, ne tarderait pas à triompher dans le style zoomorphe, on ne le sait pas.Lapparition de la zoomorphie entrelacée au VII°s semble issue de la stylisation des formes animales courante chez les Celtes (dans les monnaies par exemple) et apparue dans les peintures rupestres. Ces formes complètement détachées de la réalité anatomique ne ressemblent à rien de concret (voir le décor de la plaque-boucle de Naveil, annexe17). La possibilité dextension quoffrait ce style a donné des pièces monumentales aux décors foisonnants quaucune règle ne semblait vouloir clarifier. Qui pourrait décrire les espèces animales présentes sur les fibules de Pompey ou de Ragley Park ? (annexe 17) Cest pourtant bien dun style zoomorphe quil sagit ici mais sa proportion restant faible, dans lensemble de lorfèvrerie, prouve un succès éphémère.jParallèlement, des serpents et des dragons bien visibles se multiplient sur toutes les parures mérovingiennes. Très répandues chez les Saxons qui occupaient alors le Nord de lEurope et les côtes dAngleterre, les entrelacs animaliers ont été également appréciés sur le reste du continent comme lattestent les plaques de ceintures de Saint Denis, dEltville am Rhein ( annexe 18), de Bassecourt et de Fétigny (annexe 19), de Rosenbühl, de Sorcy Bauthemont, de Bourogne et de Beire le Chatel (annexe 20).
La tombe royale de Sutton Hoo découverte en 1862 et dont les abords on été fouillés à plusieurs reprises jusque 1995 a révélé une multitude de pièces dorfèvrerie couvertes dentrelacs animaliers. Grâce aux monnaies qui sy trouvaient, essentiellement venues de Gaule (avant 625, les Anglais ne frappaient pas de pièces) et portant les noms de Théodebert I° (petit fils de Clovis) et de Théodebert II (595/612), cette tombe a été datée aux environs de 620/625 et serait celle de Readwald, roi dEast Anglia.j Lornementation des parures de Sutton Hoo (particulièrement celle de la plaque-boucle présentée en annexe 22) appartiennent au style animalier II défini par Edouard Salin, dans lequel tout motif dorigine animale disparaît dans un jeu recherché de rubans entrelacés. En Angleterre, ce style est apparu dès 600 et sest développé comme en attestent de nombreux objets tels la garniture de trois épingles découverte dans la rivière Witham et conservée au British Museum ou le casque de Coppergate conservé au Castel Museum de York (style animalier III, où les animaux entiers contrebalancent le décor entrelacé).kMises en relief par les techniques de moulage, de taille biseautée, destampage, de filigrane et de granulation mais également, quoi que de manière plus sporadique, de cloisonné, l'art anglo-saxon est à la croisée de lart germanique occidental et de lIrlande. Les contacts multiples entre les cousins qui bordaient la Manche de chaque côté, répandirent peu à peu ces nouvelles modes par le biais des marchands et des ateliers. Car il nest pas impossible de voir se créer en Europe occidentale un commerce de la parure puisque celle-ci était, pour ainsi dire, la seule capable de créer, de manière ostentatoire, les différences sociales.
Les thèses selon lesquelles la Gaule, ployant sous le joug des invasions, avait été coupée du reste du monde et ne vivait plus que repliée sur elle-même, ont montré leur limite à la vue de cette diversité que présente lorfèvrerie au temps des Mérovingiens. Non seulement, malgré les heurts entre Barbares, lart germanique senrichit de multiples influences internes ou externes mais les relations entre les villages perdus au cur de la Neustrie et la si lointaine Afrique subsistèrent encore (témoin de cette correspondance étendue, la tombe 617 de la nécropole de Vicq en Yvelines a révélé une cruche en bronze représentant un Rhinocéros surmonté dun pique-boeuf ).j Le fermoir daumônière du bateau-tombe de Sutton Hoo (annexe 22) est typique de ce mélange unique entre cette zoomorphie entrelacée et le cloisonné polychrome dont on retrouve de nombreux exemples dans le Kent (fibules de Kingstone Downe conservée au Liverpool Museum et de Lord Amherst à Oxford). Les décors figuratifs qui illustrent le fermoir semblent se référer aux plaque-boucles burgondes chrétiennes.k Des personnages entourés de monstres, des animaux disposés face à face et reliés par les pattes ou la gueule. On retrouve toujours ce thème de dualité cher aux sociétés pré-chrétiennes ; il existe deux mondes, lhomme suffisamment sage peut les connaître et choisir la route qui mène à lun dentre eux, cependant, si lun est céleste, lautre mène aux entrailles de la terre. Dapparences similaires, ces deux directions sont opposées. Du choix quil en découle naît une notion de dépassement et de sacrifice intégral qui implique un passage initiatique vers une régénération à laquelle les chemins sinueux des entrelacs peuvent mener.l
Est-ce dans un tel esprit que les sociétés germaniques et celtiques, brûlant ce quelles avaient adoré, choisirent dembrasser la nouvelle foi en arborant les anciens thèmes païens, signes de leur errance et en les christianisant comme symbole de leur Rédemption et de celle de leurs ancêtres ? Comme on la vu précédemment, cette véritable ménagerie où se côtoient les bêtes puissantes de la faune réelle ou imaginaire est le symbole dun paganisme encore récent. Récupéré par les orfèvres habitués à ce type ornemental ou par les ecclésiastiques soucieux de ménager, dans un premier temps, les attaches culturelles de ceux quils évangélisaient (et dont ils étaient issus), ce bestiaire maléfique présent dans les objets du culte fut vivement combattu par langlo-saxon Boniface, qui eut souvent à sopposer à lesprit revêche des Celtes insulaires ou passés sur le continent. Ce dernier, dans une lettre écrite en 745 à larchevêque de Canterbury, dénonça lhabitude malsaine des artistes qui produisaient les vêtements liturgiques, à perpétuer des ornements semblables à la vermine et voyait en cela, à juste titre, le signe de lAntéchrist.j Il nignorait pas la symbolique germanique et ne se résolvait pas à accepter ce culte de la mort si proche du paganisme quil combattait à lEst. Toutefois, cette prise de conscience devait rester sans effet car sûrement trop minoritaire. En outre, Rome, consciente des difficultés quavait eu lOrient durant la crise iconoclaste, ne voulait pas connaître de pareils désagréments pour de simples images. De plus, rien nindiquait que les nouveaux fidèles habitués à cette iconographie fantastique en comprenaient encore bien le sens. Dans une telle perspective, lEglise, nhésita pas à reprendre en christianisant, dans ses thèmes simplement culturels, lébauche de climat spirituel qui régnait dans ces zones conquises ou à conquérir.k
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