ncore bien loin des méthodes expéditives dévangélisation entreprises par Charlemagne en Saxe, lEglise, dans les pays celtes comme ailleurs, partait de la conscience populaire et de son expérience pour y introduire le message du Sauveur destiné à lhumanité. Les membres du clergé et surtout les moines acceptant cet héritage touchèrent toutes les couches de la société. Disséminées dans les villages, au creux des forêts, aux croisements des routes, le long des fleuves, les populations gauloises comme les colonies de Germains adoraient les lieux géniteurs de la nature : sources, puits, enclos rituels ou arbres de vie. Déjà, les civilisations pré-celtiques avaient divinisé ces lieux et avaient élevé en leur honneur les monuments mégalithiques qui parsemèrent alors lEurope. Bâtissant à leur tour des églises sur les anciens temples urbains ou sur les lieux de cultes en campagne, souvent désertés, rappelons le, le christianisme se plaçait en continuateur de la dévotion populaire.j Cest ainsi quaprès avoir repris la fête du solstice dHiver pour la naissance du Christ, après avoir gravé ou fixé des croix sur certaines pierres levées, après avoir peu à peu donné un aspect eschatologique aux légendes répandues, telle celle de la ville dYs, lEglise a contribué à nous laisser le souvenir des cultures et des cultes qui lont précédé.k . Témoin de ce riche mélange entre paganisme et foi chrétienne, lorfèvrerie mérovingienne nous a livré les exemples de la fibule ajourée de Limons (annexe22) qui arbore le visage du Christ au centre dun chrisme dans lequel figurent l? et lO et une multitude dornements animaliers et végétaux fortement stylisés.
La croix en or de Lauchheim Wasserfurche ( annexe 21) présente vraisemblablement, en plus dentrelacs très resserrés, deux visages de Christ à lallure tout à fait germanique (nez robuste, grands yeux expressifs et moustache fleurie). En Gaule, ce sont les bijoux burgondes qui ont le plus repris les grands thèmes de lart monumental chrétien dans un environnement de type païen.j Toutes ces scènes contribuèrent, parce quelles voyageaient avec leur propriétaire, à faire connaître au plus grand nombre les points centraux de la Bible, comme un catéchisme ambulant : Daniel et les lions (Plaque-boucle de Lausanne), les rois mages (fibule de Trèves) le tombeau du Christ (plaque en ivoire de saint Césaire dArles), la fontaine de vie où venaient sabreuver des oiseaux Le contraire existait également et de nombreux griffons vinrent illustrer les décors des objets destinés aux clercs comme sur le peigne de saint Loup de Trèves où deux lions entourent un arbre de vie, comme la stèle funéraire de Gondorf qui possède un décor daspect tellement païen quon pourrait se demander si lindividu quelle signale était bien chrétien.k Enfin, les images communes aux deux, celle du Saint cavalier (comme celui visible sur la plaque de calcaire de Hornhausen et sur le disque de Cividale), du personnage nimbéRécupérant toutes les techniques du travail du métal, lEglise est également devenu un énorme client dépassant de beaucoup les moyens des aristocrates gallo-romains ou francs des siècles précédents. En effet, dès le VII°s, la multiplication des églises, des chapelles et des monastères, le développement du culte des reliques, impliquait une demande accrue en croix, calices, plats liturgiques, crosses, clochettes, reliquaires
Tant de ces trésors ont disparus à cause de leur richessej quon ne devine guère leur apparence autrement que par intuition. Quils soient faits de cloisonnés comme la crosse de Saint Germain ( annexe 21) ou quils soient estampés, filigranés, damasquinés, chacun de ces objets religieux a dû contribuer à un formidable essor culturel et artistique dont on a peu conscience à lheure actuelle. Certes moins visibles que le Parthénon, nombre de ces objets recèlent un trésor de subtile finesse et de patiencePeut on imaginer à la vue du calice de Tassilon ou de la reliure dévangile de Lindau ( tous deux annexes 23 et 24), ce quauraient été pour nous des pièces équivalentes si elles avaient traversé les âges sans encombres ?Le calice offert par le duc de Bavière Tassilon à labbaye de Kremsmünster a, sans aucun doute, été conçu par un artiste venu des îles ou formé par quelquun qui en venait. La qualité particulière ce cet objet provient de léquilibre des volumes et de la finesse que les figures entrelacées procurent à lensemble.k Cet artiste qui a réalisé sa commande à Salzbourg a vécu dans un milieu indubitablement celtique car, à cette époque, une forte communauté irlandaise entourait lévêque Virgile, nommé en 755. Travaillant avec les techniques et les motifs de lorfèvrerie insulaire, il a marié ces formes avec les canons iconographiques de lItalie et de Byzance (La figure du Christ en gloire, La Vierge et lenfant entourée des Saints). Le geste de la main que fait le Christ en signe de bénédiction est courant sur les mosaïques byzantines.l Ces canons étaient repris par les enlumineurs irlandais dans leurs manuscrits au même siècle. Noublions pas que les liens étaient très fréquents entre ces diverses parties de lEurope et que, même sils ne connaissaient lart italien ou byzantin quà travers les copies réalisées dans des régions plus proches, les artistes irlandais surent habilement interpréter ces influences en gardant leurs racines.
Lautel portatif dAdelhausen conservé à lAugustinermuseum de Fribourg en Brisgau présente, dans un décor cloisonné et niellé, deux croix entourées de symboles trilobés entrelacés disposés en quinconce et de frises de croix disposées en cadre ; ces motifs révèlent la dimension cosmique du Salut, la Croix est la voie qui mène à la vie éternelle.j Le VIII°s qui vit la transition entre les dynasties mérovingiennes et carolingiennes reflète la migration des thèmes religieux de lOrient vers lOccident. Les artistes chassés de Constantinople durant la période iconoclaste (de 730 à 843) se sont réfugiés en Occident et principalement au sein de la dynastie carolingienne. Malgré la réunion du VII° concile cuménique sous légide de " limpératrice " k Irène en 784, il faudra attendre celui de Théodora en 843 pour voir à nouveau les images illustrer la grandeur de lart Byzantin. Cette crise a profité à lOccident et a contribué à lui donner une nouvelle maturité en lélevant au niveau de pôle culturel et héritier momentané de lantique empire romain. Ce qui est défini comme la renaissance carolingienne est un passage des murs germaniques fondés sur la coutume aux conceptions plus élevées de droit et dEtat. Les lois barbares pré-mérovingiennes étaient la preuve de ce cheminement et de labandon progressif de certains modes de vie. Dès le VIII°s, les sépultures à mobilier commencèrent à se faire plus rares, à la fin du siècle, elles disparurent totalement. La pénétration des idées chrétiennes dans les mentalités des gens du Haut Moyen Age avait abouti à lensevelissement des corps dans leur plus simple tenue, lidée, peu à peu, sétant faite que les âmes survivaient dans lautre monde sans avoir besoin de ce qui donnait, sur terre, de la valeur au corps. Il faut ajouter que les multiples pillages de tombes, que les familles des défunts avaient malheureusement eu à constater, étaient devenus de plus en plus nombreux. Ces violations avaient lieu, le plus souvent directement après linhumation et étaient luvre de simples pillards.
On comprend, dès lors, la volonté des proches des rois barbares de camoufler les lieux où ces derniers étaient enterrés. Les écrits de Jordanès signalent ainsi le détournement du fleuve Busento, en Calabre qui recouvra ensuite la tombe dAlaric, roi des Goths, j et le massacre des ouvriers employés aux funérailles dAttila, roi des Huns.k La tombe du père de Clovis ne fut, pour sa part, découverte que mille deux cents ans plus tard. Une raison économique a pu également pousser les autorités ou des acteurs indépendants à récupérer ces sources de matière première. Lexemple dun tel pillage organisé est fourni par les habitants de Ravenne qui, menacés par les Lombards, ont systématiquement ouvert les sépultures de la ville afin den soutirer les moyens financiers aptes à contribuer à leur défense car " il serait crime de ne pas donner pour la survie des vivants ce dont les morts nont plus besoin ".l Lorfèvrerie qui faisait de la parure un phare de lart mérovingien sest recentrée sur les objets liturgiques. Bien sûr, les plaque-boucles et les fibules nont pas disparu mais elles étaient moins travaillées et devinrent finalement moins en vogue. Les pillages et les destructions drainées dans le sillage des Normands ont contribué à un effacement dune partie de lhéritage de lorfèvrerie religieuse carolingienne. Disparition aussi importante que celui de laristocratie mérovingienne. Les centres de culture quétaient les ateliers des monastères ont dû énormément souffrir de ces incursions de guerriers plus meurtrières que les précédentes, dautant plus quils constituaient les cibles privilégiées des raids. Ces nouveaux barbares furent ils surpris de voir dans des objets décorés dentrelacs, des modèles iconographiques équivalents aux leurs, quoi quétant plus riches ? Il semble, en tout cas que sils emportaient chez eux ces calices, ces reliquaires et ces croix, la beauté de ces objets pesait peu en fonction de ce quils représentaient en valeur marchande.
Grâce à cet or et cet argent, les Vikings achèteraient du sel ou produiraient leurs bijoux en nombre accru On pense que si les Scandinaves ne furent point touchés par la valeur religieuse de cette orfèvrerie, cest quils avaient une religion différente habituée à lindifférence en ce qui concernait les autres dieux et quils ne découvraient pas le christianisme. Il côtoyaient en effet des chrétiens depuis longtemps dans leurs régions méridionales. Par ailleurs, les contacts quils avaient établis avec des peuples plus éloignés que leurs voisins immédiats Saxons et Angles, avaient sûrement impliqué une connaissance des civilisations européennes et méditerranéennes et une assurance qui les rendait peu craintifs de linconnu dont ils avaient repoussé les frontières.j Cela explique le parcours de leurs aventuriers en Amérique du Nord ou en Sicile un siècle plus tard. k On comprend aussi que trop isolés dun monde christianisé, ceux-ci aient fini par se soumettre au monothéisme. LEglise appliquant les mesures qui avaient fait son succès auprès des populations celtiques et germaniques, utilisa la figuration humaine et leur symbolisme proche du premier christianisme. Elle utilisa aussi les runes et repris les stèles pour diffuser la Bonne Nouvelle. Les centres détude carolingiens organisés selon une répartition par spécialisation des bâtiments possédaient, en plus des granges, écuries et autres dortoirs ou réfectoires, des ateliers dorfèvrerie et denluminure. Dans le cadre de la formation des élites de lempire, Charlemagne soutenait la créations de ces écoles dans les villes ecclésiales. Les Irlandais formant, comme on la vu, une colonie importante, se regroupaient autour des villes de Liège, Fulda, Cambrai, Soissons, Metz, Laon, Saint Denis, St Gall ( voir plan annexe 25), Reichenau, Salzbourg
La reliure dévangile de Lindau, conservée à la Morgan Library de New York ( annexe 24) est typique de cet art animalier entrelacé que lon peut lier, à coup sûr, à la présence dIrlandais. Cette reliure se rapproche, dans ses thèmes et techniques, au calice de Tassilon. Elle provient du couvent des dames nobles de Lindau et fut probablement exécutée vers 800. Elle contenait un manuscrit issu de Saint Gall. La croix aux extrémités évidées est entourée dune étroite bordure composée danimaux en émail cloisonné. Les angles sont remplis par un tapis dornement animalier entrelacé semblable à ce qui se fait chez les Saxons et les Irlandais tandis que les images du Christ en émail en creux rappellent les plaque-boucles burgondes.j Les symboles des évangélistes sont communs à toutes les enluminures religieuses, ils sont issus de la vision dEzéchiel et de lApocalypse et représentés comme tels par les Pères de lEglise.kLappartenance de ces thèmes au monde celtique à lépoque carolingienne est dautant plus vérifiable que lorsque les invasions viking commencèrent à aborder lIrlande, dès 795, larrivée de savants et dartistes se tarit peu à peu. Avec eux, ce sont les styles ornementaux que lon a défini précédemment et qui faisaient une partie du charme de lart occidental, qui sestompèrent. Quant aux ateliers qui produisirent ces divers objets de type " celtico-saxon ", on ne les connaît pas précisément. Toutefois la répartition des boucles et des fibules à travers le Regnum Francorum nous permet de déduire leur présence le long de la frontière actuelle de la France et de la Suisse, partant du Nord, dans les environs de Cambrai, passant par la Lorraine et Metz puis senfonçant dans le Jura et les Alpes pour rejoindre Reichenau et Salzbourg.
Ces ateliers, plus ou moins grands, devaient se répartir en fonction des tâches, suivant les techniques de production en série destinée au commun des mortels ou celles demandant la plus grande attention pour la plus fine fleur de la société. Ils multiplièrent les modèles et les pièces qui furent reprises et développées à foison sans toutefois jamais apparaître fouillies, baroques.
Lorfèvrerie du Haut Moyen Age fut très riche, mais les spirales et les entrelacs, simples ou animaliers, ont été, dans lensemble des thèmes artistiques, parmi les plus subtils. Durant les trois siècles où le travail du métal fut le support primordial de lart occidental, les styles celtique et saxon, dorigines diverses mais connus de tous les peuples germaniques, se popularisèrent dans leur société. Reprise par lEglise catholique à la fin du VIII°s avec une richesse et une ostentation luxueuse au point den susciter les invectives de lhistorien Richer, lorfèvrerie carolingienne illustre, en tout point, la conversion dun monde païen sans quon ait limpression dune quelconque décadence ou acculturation.
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