enluminure continentale a conservé quelques caractéristiques de linspiration quengendraient les figures anthropomorphiques de lorfèvrerie mais elle en a changé légèrement laspect pour sadapter à des personnages plus réalistes. La plupart du temps, les acteurs des livres saints gallo-francs sont représentés de trois-quarts, chose quignorait la plastique du métal. Leur apparence sattache donc plus au domaine de la peinture que du dessin. En effet, les Irlandais, comme on la vu, délimitaient les formes du visage par des traits continus. Ne connaissant pas encore les techniques graphiques qui font le succès de la bande dessinée contemporaine,j nos enlumineurs, afin déviter de tomber dans le piège de la caricature rigide, atténuaient le choix des traits principaux par des dégradés de couleurs. Les ateliers comme les monastères adaptèrent les usages insulaires à de nouvelles pratiques dans un mélange qui navait rien de contre nature. Ce phénomène, qui se retrouve souvent dans lHistoire, permit une perpétuation de lesprit irlandais au sein de la société. Ce métissage des styles denluminures peut être considéré comme une adaptation picturale équivalente à celle des règles de St Colomban et de St Benoît. On perçoit ce génie dans le simple fait que, pour parvenir à une parfaite cohabitation entre la peinture et le dessin, les traits qui forment les contours des personnages sont fait avec une encre marron car celle-ci se fond parfaitement dans les surfaces de couleur chair.k Les initiales ornées de début de chapitre constituent une autre caractéristique de cette influence irlandaise dans les scriptoria continentaux. On a vu précédemment que cette origine est orientale mais le développement et loriginalité quen ont donné les enlumineurs irlandais ont fait de ces grandes lettrines une source dinspiration inépuisable pour lart abstrait.
Seules semblent lutter contre ce style ornemental les lettres anthropomorphes sorties de Corbie ( annexe 25) et qui constituera un des pôles du mysticisme fantastique que lon retrouvera sculptés dans la pierre des monastères, chapelles et églises médiévales.j Une simple lettre peut donner naissance à une profusion de formes mystérieuses qui semblent se rattacher à un monde dillusions incompréhensibles et pourtant admirables. Comme quand, perdus dans la brume nocturne dune forêt dense et obscure, on imagine parfois une multitude de monstres sortis des lianes qui étreignent des arbres centenaires. Limagination humaine, dans ces deux cas de figure, est capable des plus grandes prouesses.On comprend donc plus facilement ce rapport privilégié qui unissait la christianisation aux vestiges du paganisme. LEglise, en devenant premier client de la production artistique réussit à en prédéfinir les formes et à maîtriser lenracinement des superstitions et de ses habitudes fétichistes en lui donnant une identité chrétienne. Les lettrines peuvent être classées en plusieurs catégories parfois interdépendantes. Celles où les entrelacs ornent la tranche des initiales, très courantes au VIII°s (voir le Quaestiones in Heptateuchon, annexe 29 ou le Sacramentaire de Gellone, annexe 30.)kCelles, toujours entrelacées, entourées de décors animaliers (Quaestiones in Heptateuchon, fol 1r, Psautier de Corbie, annexe 42), entourant des personnages en scène (Psautier de Corbie, annexe 43, Evangéliaire St Médard de Soissons, annexe 39 de Londres, annexe 40),l celles plus rares présentant des motifs végétaux entrelacés (Evangéliaire dEbbon, annexe 41).mEnfin, au IX°s, fleurit le style des rinceaux entrelacés à chaque extrémité de la lettre (Livre des prophètes, annexe 44, Evangéliaire de Tours, annexe 46, dArras, annexe 49, Seconde Bible de Charles le Chauve, annexe 55/57).n
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